L’ancien ministre français est discrètement venu apporter un message de soutien de la part d’Emmanuel Macron à la région autonome, une visite officiellement non reconnue par l’Elysée. La région a été durement frappée par l’armée turque début octobre, après un attentat à Ankara.
Le 9 Novembre 2023, Libération.
C’est un déplacement qui a été tenu top secret jusqu’au départ de la région de l’ancien ministre de l’Education nationale. Juste avant son décollage pour Paris, Jean-Michel Blanquer publie sur X (anciennement Twitter) une photo de lui en costume cravate gris. Il pose à l’intérieur de ce qui semble être une tente d’un des nombreux camps de réfugiés de la région autonome kurde syrienne. Dans son message, l’ancien ministre salue «un espoir pour le Levant». Nommant ainsi l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (l’Aanes). Une région à gouvernance multi-ethnique mais dominée par les Kurdes et de facto sous leur contrôle. Une terre en partie reprise à Daesh par ces mêmes Kurdes avec le soutien de la coalition internationale, dont la France fait partie. Dans ce même tweet, il parle de la souffrance du peuple kurde syrien face aux «attaques de l’islamisme radical armé et de pays voisins. L’élan des Forces démocratiques syriennes illustre l’harmonie et la force des communautés et des religions unies pour la liberté contre l’obscurantisme».
«Pied de nez à Erdogan»
La visite de Jean-Michel Blanquer visait donc à apporter un message de soutien de la part d’Emmanuel Macron aux dirigeants de la région autonome, selon un membre de sa délégation. La région vient tout juste d’être frappée, entre les 4 et 10 octobre, par une intense campagne de bombardements de l’armée de l’air turque. Bilan selon un rapport de l’Ananes publié le 18 octobre : 47 morts et 55 blessés, civils et militaires. Le massacre s’est produit dans le plus grand silence médiatique et diplomatique, alors que la guerre entre le Hamas et Israël commençait. Les centaines de frappes aériennes turques, dont les forces sont membres de l’Otan, ont aussi visé des infrastructures telles que des centrales électriques, des installations pétrolières jusqu’à des cliniques médicales, selon les autorités kurdes. Plongeant une région déjà minée par dix ans de guerre dans une précarité encore un peu plus forte. Cette opération militaire avait été ordonnée par le gouvernement d’Erdogan après l’attentat d’Ankara du 1er octobre. Ce jour-là, deux membres du PKK, parti nationaliste kurde de Turquie, ont attaqué le ministère turc de l’Intérieur. Une attaque avortée qui a fait deux blessés parmi les policiers turcs.
Le PKK étant un parti supposément affilié à l’Administration autonome du Nord-Est syrien, le président turc a décidé de lancer une opération dite «antiterroriste» sur le territoire. Un mois plus tard, voilà donc Jean-Michel Blanquer à la tête d’une délégation, comptant Patrice Franceschi, écrivain qui a conduit plusieurs missions humanitaires dans la région et qui était là comme expert de la zone, et Khaled Issa, représentant de l’Aanes en France – sorte d’ambassadeur non officiel. L’ancien ministre de l’Education, envoyé parce qu’il «fallait quelqu’un de compétent» – a expliqué un membre de sa délégation – est donc venu porteur d’un message de soutien d’Emmanuel Macron. Un soutien à des alliés dans la lutte contre l’Etat islamique, toujours présent en Syrie. «Un voyage pied de nez à Erdogan surtout», assume même un membre de la délégation.
Plutôt discret
L’ancien ministre est allé constater les dégâts causés par l’armée turque et a rencontré le dirigeant des Forces démocratiques syriennes Mazloum Abdi. Un «pied de nez» à Erdogan peut-être, mais plutôt discret. Aucun journaliste sur place n’a été informé en amont de la visite. Contacté par Libération, le service de presse de l’Elysée a dit ne pas être au courant et aucun communiqué officiel n’a été publié. Emmanuel Macron, dont un déplacement dans le Kurdistan irakiens est envisagé en fin du mois, ne fera pas le voyage jusqu’aux Kurdes de Syrie, à seulement 250 km. Rentré en France, Jean-Michel Blanquer a du travail : un rapport lui a été commandé par le chef de l’Etat, affirme Patrice Franceschi. Nul ne sait s’il sera rendu public tant le soutien de la France au Kurde syrien semble timide.