L’Union européenne se prépare à accueillir de nouveaux membres dans un avenir plus ou moins proche. Si l’Ukraine et la Moldavie sont les pays les mieux partis pour intégrer le bloc des Vingt-Sept, pour la Turquie, éternelle candidate, le bout du chemin semble hors d’atteinte. Les négociations d’adhésion sont gelées depuis 2018 et les avancées de Kiev semblent lui fermer encore un peu plus les portes de l’Europe.
Le 9 Novembre 2023, La Tribune.
Alors que la Commission européenne a donné ce mercredi 8 novembre son feu vert à l’ouverture de négociations d’adhésion à l’UE avec l’Ukraine et la Moldavie, et a recommandé l’octroi du statut de candidat à la Géorgie, un pays patiente depuis près de 25 ans. La Turquie est officiellement candidate depuis 1999 pour rejoindre les Vingt-Sept. Pour rappel, l’ouverture des négociations d’adhésion remonte à 2005.
Les dirigeants européens se sont toutefois heurtés aux difficultés liées à la présence turque dans le nord de Chypre. Dès 2009, le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel avaient clairement exprimé leur opposition à une entrée de la Turquie en Europe. Depuis, le Brexit a fait perdre à la Turquie sa principale alliée dans l’UE, le Royaume-Uni. Les États-Unis continuent cependant à faire pression pour maintenir le processus de négociations en vie, dans le souci de maintenir la Turquie, membre de l’Otan, aussi éloignée que possible de la Russie, particulièrement depuis l’invasion de l’Ukraine.
Les négociations d’adhésion sont gelées depuis juin 2018. Pour de nombreux États membres de l’UE, ces discussions sont au point mort pour encore longtemps. En septembre d’ailleurs, l’Autriche, opposée de longue date, a réclamé que le processus soit formellement interrompu. Plusieurs responsables européens, sous couvert d’anonymat, jugent que cela serait plus honnête, mais personne ne voudrait se risquer à faire le premier pas.
Les relations entre l’UE et la Turquie ne sont pour autant pas mauvaises. Elles reposent aujourd’hui essentiellement sur un « donnant-donnant » : Ankara reçoit des fonds européens, en échange de son aide dans le contrôle des flux migratoires vers l’Europe.
Messages contradictoires de l’UE
Selon les périodes, la situation semble plus ou moins figée. Après les élections turques de mai dernier, les dirigeants européens ont demandé à la Commission européenne et au chef de la diplomatie de l’UE de préparer un rapport en vue d’améliorer les relations, suscitant de nouveaux espoirs. Ce rapport est attendu pour décembre, avant un sommet des 27 à Bruxelles mi-novembre. Les experts restent prudents sur les avancées qu’il pourrait contenir.
« Je ne m’attends pas à une revitalisation significative de la relation parce qu’il y a un nombre restreint de domaines où des progrès peuvent être obtenus », estime Senem Aydin-Duzgit, professeure de relations internationales à l’université Sabanci d’Istanbul.
Il y a un « découragement » vis-à-vis de la Turquie en Europe, a reconnu le rapporteur du dossier turc au Parlement européen, Nacho Sanchez Amor.
« Nous sommes fatigués de maintenir le processus d’adhésion en vie quand apparemment il n’y a pas de véritable volonté politique de l’autre partie pour avancer sur la voie démocratique », a jugé cet eurodéputé espagnol.
L’UE accuse la Turquie de faire marche arrière en matière de démocratisation, particulièrement depuis le coup d’État manqué de 2016 contre le président turc Recep Tayyip Erdogan. Le rapport devrait donc se contenter de recommander une amélioration de l’union douanière entre les deux parties. Mais, là encore, les experts sont sceptiques.
« Si les négociations sur l’Union douanière peuvent démarrer avec l’actuel gouvernement (turc), je ne pense pas qu’elles aillent très loin », ajoute Senem Aydin-Duzgit.
« La Turquie n’attend plus rien »
Si Bruxelles envoie parfois des messages contradictoires, le président turc n’est pas en reste. « La Turquie n’attend plus rien de l’Union européenne qui nous a fait patienter à sa porte depuis 60 ans », a ainsi affirmé Recep Tayyip Erdogan début octobre, deux mois après avoir lié son possible feu vert à une adhésion de la Suède à l’Otan à un renouveau des négociations avec l’UE.
L’ambassadeur turc auprès de l’UE, Faruk Kaymakci, se dit toujours favorable à l’adhésion de son pays. « Ce que nous attendons, c’est de recevoir le même traitement que les autres pays candidats », a-t-il fait valoir. À Bruxelles, comme à Ankara, beaucoup pensent qu’une clarification s’impose.
La « grande oubliée »
Dans les faits, la Turquie apparaît comme la « grande oubliée ». Pas un mot sur le pays fin octobre, lorsque la Commission européenne a fait savoir qu’elle débloquerait six milliards d’euros pour aider six pays des Balkans – Macédoine du Nord, Albanie, Kosovo, Serbie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine – à poursuivre les réformes nécessaires à leur intégration au bloc des Vingt-Sept.
Rien non plus lors des annonces de ce mercredi. Surtout, la perspective d’une entrée de l’Ukraine dans l’UE risque d’éloigner encore davantage la Turquie des rivages européens. « L’adhésion de l’Ukraine changera l’UE et il lui sera impossible d’accepter un nouveau membre tel que la Turquie », estime un responsable européen, qui a requis l’anonymat en raison du caractère sensible du sujet. L’élargissement du bloc devrait en effet être mené de front avec une réforme de l’institution, pour lui permettre de fonctionner avec davantage de membres.