Le principal festival de cinéma turc, organisé depuis des décennies dans la ville d’Antalya, ne pourra pas célébrer son soixantième anniversaire, initialement prévu du 7 au 14 octobre. L’annulation de l’édition de cette année fait suite à une polémique autour de la censure de l’un des films, critique du pouvoir.
Le 2 Octobre 2023, COURRIER INTERNATIONAL.
Le Festival du film de l’orange d’or d’Antalya, principal festival de cinéma en Turquie, devait fêter ses soixante ans d’existence du 7 au 14 octobre. Mais le rendez-vous a finalement été annulé, en raison d’une polémique autour d’un film portant sur les purges dans la fonction publique entamées au lendemain du coup d’État manqué de 2016, rapporte le quotidien d’opposition nationaliste Sözcü.
Les débats, vifs, concernaient le film Le Décret, un documentaire de la réalisatrice Nejla Demirci, qui raconte le quotidien d’une médecin et d’un professeur radiés de leurs emplois, ainsi que la lutte des deux fonctionnaires pour être réintégrés dans leurs fonctions.
D’abord prévue au programme, la diffusion du film avait été suspendue par les organisateurs du festival, ce qui a entraîné la démission du jury, puis le retrait des films programmés par la majorité des réalisateurs, en signe de solidarité.
Après le retrait des subventions du ministère de la Culture, opposé à la réintégration du film, la mairie d’Antalya a décidé l’annulation pure et simple du festival pour couper court à la polémique.
“Mort sociale”
“Les médias progouvernementaux et leurs trolls dépeignent ce film comme un documentaire favorable au Fetö”, du nom donné par le pouvoir à la communauté religieuse de l’imam Fethullah Gülen, ancien allié d’Erdogan devenu son rival et accusé d’avoir fomenté la tentative de putsch, “mais il s’agit uniquement de suivre le combat de deux syndicalistes de gauche pour leurs droits”, explique le journaliste de Sözcü.
Le contrôle des autorités sur les thèmes abordés et le contenu des documentaires comme des fictions se renforce dans le pays, entraînant la censure de certaines œuvres, l’abandon du tournage d’autres films ou le retrait des financements publics.
Après le coup d’État en 2016, les autorités turques avaient procédé à des licenciements massifs dans le secteur public, dans une logique punitive visant à sanctionner les opposants au pouvoir. Seuls 17 000 fonctionnaires, sur plus de 100 000, sont parvenus à réintégrer leurs emplois, soit moins de 20 % des personnes radiées.
Déplorant l’annulation du festival et la guerre menée contre le film, le journaliste de Sözcü conclut sur une critique acerbe du pouvoir : “Vous privez plus de 125 000 personnes de leur emploi, vous les condamnez à une mort sociale, à vivre dans ce pays comme dans une prison à ciel ouvert et vous vous attendez à ce qu’ils acceptent leur sort comme un mouton de l’Aïd ?”