La Turquie bloque depuis plus d’un an l’entrée de la Suède dans l’Otan, lui reprochant sa mansuétude envers les militants kurdes sur son sol. Par Slim Allagui dans Le Figaro du 18 juin 2023.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ne semble toujours pas près de donner son feu vert à l’entrée de la Suède dans l’Otan en dépit de l’entrée en vigueur le 1er juin d’une nouvelle loi «antiterroriste» musclée dans le royaume scandinave et l’annonce de la première extradition d’un partisan du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) vers la Turquie.
L’issue de la réunion, le 14 juin à Ankara, entre négociateurs turcs et suédois sur le processus d’adhésion à l’Otan n’a pas clarifié la situation, à un mois du sommet de l’Alliance atlantique à Vilnius (Lituanie) qui doit entériner l’adhésion de la Suède et de la Finlande. «La Suède a des attentes, mais cela ne signifie pas que nous les satisferons», a déclaré M. Erdogan.
Pourtant «nous avons rempli nos engagements» a assuré le premier ministre suédois, Ulf Kristersson, à Stockholm à la chaîne publique SVT, en référence notamment à la levée de l’embargo sur les armes vers la Turquie et l’adoption d’une législation destinée à sanctionner les activités des partisans du PKK, ouvrant la voie à leur extradition.
La Turquie bloque depuis plus d’un an l’entrée de la Suède dans l’Otan, lui reprochant sa mansuétude envers les militants kurdes sur son sol. Ankara réclame des dizaines d’extraditions de ces personnes, qu’il qualifie de «terroristes».
La Suède «ne satisfait pas encore les attentes» de la Turquie selon l’entourage de M. Erdogan, estimant que les gages apportés ne suffisent pas tant que Stockholm autorise des manifestations en faveur du PKK, comme celle du 4 juin dernier.
Le gouvernement suédois a décidé le 12 juin d’extrader un ressortissant turc de 35 ans, condamné en 2014 à quatre ans et sept mois de prison, dans son pays, après avoir été accusé d’avoir transporté un sac contenant 1,8 kg de cannabis. Après avoir purgé un peu moins de six mois de sa peine, il avait été libéré sur parole, avait quitté la Turquie légalement et déménagé en Suède. Mais le procureur général turc a réclamé en 2022 son extradition pour purger le reste de sa peine dans son pays. La Cour suprême a décidé le 30 mai qu’il n’y avait pas d’obstacles en vertu de la loi sur l’extradition pour infractions liées à la drogue.
L’homme, arrêté depuis l’année dernière, soutient que «la véritable raison» de la demande d’Ankara est qu’il soutient le parti pro-kurde HDP, le PKK ainsi que les YPG (Unités de protection du peuple).
Cette première extradition d’un sympathisant du PKK constitue-t-elle le début de la fin d’une Suède championne de la défense des droits humains? De nombreux Suédois sont opposés à l’idée de voir leur pays compromettre ses valeurs et courber l’échine devant la Turquie pour se mettre sous le parapluie protecteur de l’Otan.
Exigences turques
«Je doute fort que la Cour suprême ait été influencée par des considérations politiques», assure Paul T. Levin, directeur du Centre de recherches sur la Turquie à l’université de Stockholm. Il rappelle que «la Haute Cour a rejeté toutes les demandes d’extradition récentes dans des affaires politiques et de terrorisme». En décembre dernier, la Cour suprême a ainsi rejeté l’extradition d’un journaliste turc, Bülent Kenes, accusé par Ankara d’avoir été complice de la tentative de coup d’État de 2016. Son extradition avait été réclamée par la Turquie pour valider l’entrée de Stockholm dans l’Otan.
Présent en tant que témoin-expert pour la défense dans le procès du ressortissant turc extradé, il ajoute que «le tribunal n’a pas cru à son affirmation selon laquelle le gouvernement turc voulait qu’il soit extradé pour des raisons politiques».
Toutefois, «les exigences turques posées à la Suède inquiètent les Suédois et doivent être un signal d’alarme», estime-t-il.