A moins d’un mois du sommet de Vilnius, les négociations devraient reprendre entre les deux pays au sujet de l’adhésion suédoise à l’Alliance. Stockholm a notamment extradé un sympathisant du PKK, et mis en examen un autre militant. Par Anne-Françoise Hivert dans Le Monde du 13 juin 2023.
La pression exercée par les alliés ainsi que les gages offerts par Stockholm suffiront-ils à convaincre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, reconduit dans ses fonctions après la présidentielle du 28 mai, de donner son feu vert à l’adhésion de la Suède à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ? Après trois mois et demi d’interruption, les négociations entre les deux pays vont reprendre mercredi 14 juin, à Ankara, pour une réunion de la dernière chance avant le sommet de l’Alliance atlantique, organisé les 11 et 12 juillet à Vilnius, en Lituanie.
Les déclarations du conseiller principal du président turc, le 11 juin, sur la chaîne publique TRT World, ont fait naître une lueur d’espoir en Suède. Akif Cagatay Kilic a constaté que le pays nordique était « plus proche d’une adhésion à l’OTAN qu’il y a un an », même s’il a estimé que des désaccords demeuraient entre Stockholm et Ankara sur l’application du mémorandum, signé avec la Finlande, en juin 2022, à Madrid.
La dernière rencontre entre les trois pays avait eu lieu le 9 mars à Bruxelles, après une crise diplomatique entre la Suède et la Turquie, provoquée notamment par un autodafé du Coran devant l’ambassade turque à Stockholm. Le 30 mars, le Parlement turc a ratifié l’adhésion de la Finlande, avant que les discussions soient suspendues, en raison de la campagne électorale en Turquie.
Depuis la victoire de Recep Tayyip Erdogan le 28 mai, les alliés font monter la pression. Le 4 juin, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, en visite à Ankara, a déclaré qu’il « espérait finaliser la candidature de la Suède aussi rapidement que possible ». Assurant qu’il y avait « encore du temps pour le faire d’ici le sommet de Vilnius », il a constaté que l’adhésion suédoise n’allait pas seulement « rendre la Suède plus sûre, mais également renforcer l’OTAN et la Turquie ».
Adoption d’une loi antiterroriste
De son côté, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, en visite en Suède le 30 mai, a « exhorté la Turquie et la Hongrie » – qui fait également blocage, sans revendications spécifiques – à ratifier l’adhésion de la Suède « le plus rapidement possible ». La veille, le président américain, Joe Biden, a révélé qu’il s’était entretenu avec M. Erdogan et que celui-ci voulait « toujours travailler sur quelque chose concernant les F16 » – une allusion aux quarante avions de combat américains que la Turquie souhaite acheter, mais dont le Congrès bloque la vente. « Je lui ai dit que nous voulions un accord avec la Suède, donc faisons en sorte que ce soit fait », a précisé M. Biden.
La Suède, pour sa part, estime avoir respecté ses engagements. Non seulement, elle a levé l’embargo sur la livraison d’armes à la Turquie (en place depuis 2019), mais, en adoptant une loi antiterroriste, entrée en vigueur le 1er juin, qui interdit l’appartenance ou les liens avec une organisation terroriste, elle s’est dotée d’« un outil plus efficace » pour lutter contre les activités du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Suède, selon le ministre de la justice, Gunnar Strömmer.
Deux décisions judiciaires pourraient également faire pencher la balance. Le 6 juin, la Haute Cour de justice suédoise a autorisé le renvoi en Turquie d’un homme de 35 ans, condamné pour une affaire de drogue en Turquie –, même si lui clame qu’il est mis en cause pour ses sympathies pro-PKK. Son extradition a été approuvée lundi 12 juin par le gouvernement. Trois jours plus tôt, un Turc de 40 ans a été mis en examen à Stockholm. Il est soupçonné d’extorsion et de tentative de financement d’une organisation terroriste au profit du PKK.
Des signes encourageants
Le 26 avril, dans une interview au journal Dagens Nyheter, le chef de la diplomatie suédoise, Tobias Billström, avait estimé que les activités du PKK sur le territoire suédois étaient « étendues » et qu’ « un travail considérable [était] en cours pour collecter de l’argent et financer des activités terroristes dirigées contre (…) la Turquie ».
Parmi les signes encourageants qui témoigneraient d’un fléchissement côté turc, Aras Lindh, analyste à l’Institut des affaires étrangères à Stockholm, note l’augmentation récente des contacts entre la Suède et la Turquie, ainsi qu’entre Ankara et Washington, et la mention des F16 par Joe Biden, qui « pourrait indiquer qu’un accord est en train de prendre forme entre les deux pays ».
Par ailleurs, « les élections en Turquie sont passées, et la Suède a fait un certain nombre de choses que la Turquie peut mentionner pour justifier la levée de son veto. Mais tout dépend de ce que M. Erdogan a dans le viseur, sachant qu’il est aussi très imprévisible », observe Aras Lindh. Spécialiste du Moyen-Orient, Bitte Hammargren estime qu’il aurait été « plus judicieux que les Etats-Unis participent à la réunion à Ankara plutôt que la Finlande » et elle s’inquiète des « multiples concessions faites par la Suède à la Turquie », constatant au passage que « des voix habituellement critiques dans la majorité restent silencieuses ».
Dans une tribune publiée le 30 mai dans le Financial Times, le premier ministre suédois, Ulf Kristersson, rappelait que « seul Vladimir Poutine a quelque chose à gagner à ce que la Suède soit tenue à l’écart de l’OTAN ». Alors qu’un Suédois sur deux soutenait l’adhésion il y a un an, ils sont désormais deux sur trois.