Le Courrier International publie dans son numéro paru le 1è juin une revue de la presse turque au lendemain des élections du mois de mai 2023
Après la victoire du président, Recep Tayyip Erdogan, la presse islamo-conservatrice est
aux anges. Les médias d’opposition redoutent une nouvelle poussée autocratique.
Nous avons gagné!” se félicite un éditorialiste du quotidien islamo-nationaliste Yeni Safak au lendemain de la réélection, le 28 mai, du président Recep Tayyip Erdogan avec 52 % des
suffrages. Une victoire obtenue face à une large coalition de l’opposition, en dépit de la crise économique, des scandales de corruption et d’une gestion critiquée des séismes meurtriers du 6 février. “La période a été difficile, stressante, nous avons même imaginé qu’il puisse perdre, que le pays sombre dans le chaos.”
Pour éviter qu’un tel scénario ne se répète, le journal appelle à un contrôle plus strict du monde de la culture, où des “ingrats qui profitent de l’argent public se permettent ensuite de s’attaquer à la coalition présidentielle”, mais aussi d’Internet, des réseaux sociaux et des médias d’opposition.
Comment analyser la défaite de l’opposition? Le quotidien islamiste Yeni Akit avance qu’elle a eu tort de se concentrer sur l’économie. “Ce qui importe pour les gens de ce pays, ce n’est pas le prix de l’oignon mais la reconversion de [la basilique] Sainte-Sophie en mosquée, ce n’est pas le prix de la patate mais la construction de la mosquée sur la place Taksim, ce n’est pas le cours du dollar mais la fabrication de nos propres drones de combat
La presse d’opposition estime quant à elle que les dés étaient pipés dès le départ. “Nous avons assisté à une pantomime de démocratie”, déplore ainsi Cumhuriyet.
Le journal juge l’élection inéquitable, remportée par un président qui s’est représenté pour un troisième mandat alors que la constitution limitait son exercice à deux, et qui a fait campagne en mobilisant tous les moyens de l’État. Pendant sa campagne, le chef de l’État n’a pas hésité à dépeindre les membres de l’opposition comme des “traîtres” et des “terroristes”, en polarisant ainsi la société à l’extrême, dénonce Cumhuriyet.
“Ce n’est pas seulement Kemal Kiliçdaroglu [le candidat d’opposition] qui a perdu, c’est nous tous qui avons perdu nos espoirs d’un futur plus juste, libre et démocratique”, s’attriste le quotidien kémaliste Sözcü. Dans l’opposition, on craint que l’autoritarisme du pouvoir ne se renforce et que la situation économique, déjà marquée par une très forte inflation – 64,27 % au cours de l’année 2022, selon des chiffres officiels très contestés –, ne dégénère en une crise financière. “Notre pays va s’éloigner encore davantage de l’Occident pour rejoindre la cohorte des pays dirigés par un homme unique, l’économie va continuer à s’effondrer, les prix du gaz et de l’électricité vont exploser, tout comme les prix des denrées sur les marchés, et la hausse du dollar va devenir hors de contrôle”, prédit Sözcü.
Courrier International, 1-7 juin 2023, p.7