Paris, Washington et Bruxelles ont salué la victoire du président turc, dans l’espoir de relancer leurs relations avec Ankara, très abîmées ces dernières années. Principal enjeu : l’accession de la Suède à l’OTAN, bloquée par la Turquie. Par Philippe Jacqué et Philippe Ricard dans Le Monde du 29 mai 2023.
La réélection de Recep Tayyip Erdogan à la présidence de la Turquie a suscité l’habituel concert de félicitations dans ce genre de situation. De Joe Biden à Vladimir Poutine, en passant par Emmanuel Macron ou Volodymyr Zelensky, chefs d’Etat et de gouvernement se sont succédé pour saluer la victoire de l’indéboulonnable dirigeant turc, au pouvoir depuis vingt ans, face à Kemal Kiliçdaroglu. Le chef de file de l’opposition avait pourtant les discrètes faveurs des dirigeants occidentaux, dont les relations avec M. Erdogan se sont fortement détériorées au fil de ses mandats successifs, surtout depuis le coup d’Etat manqué de 2016.
Les résultats électoraux connus, les Occidentaux ont donc cherché à faire contre mauvaise fortune bon cœur, non sans mettre en avant la nécessaire cohésion de l’OTAN, dont la Turquie bloque l’élargissement à la Suède. « J’ai hâte de continuer à travailler ensemble en tant qu’alliés au sein de l’OTAN sur des questions bilatérales et des défis mondiaux », a tweeté le président américain, Joe Biden. « Notre sécurité commune est une priorité pour l’avenir », a déclaré le premier ministre suédois, Ulf Kristersson.
En cas d’alternance, Kemal Kiliçdaroglu semblait désireux d’entériner l’accession de la Suède à l’OTAN, alors que M. Erdogan exige jusqu’ici, au préalable, l’expulsion de militants kurdes, réfugiés dans ce pays. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance atlantique, a pour sa part évoqué sa « hâte de poursuivre [notre] travail ensemble et de préparer le sommet de l’OTAN en juillet ».
Relancer les relations avec l’homme fort d’Ankara
Parmi les dirigeants européens, le président français, Emmanuel Macron, a été l’un des premiers à féliciter M. Erdogan, tweetant que la France et la Turquie avaient « d’immenses défis à relever ensemble » dont le « retour de la paix en Europe, l’avenir de [notre] Alliance euro-atlantique, la mer Méditerranée ». Le chef de l’Etat, autrefois prompt à dénoncer la « mort cérébrale » de l’OTAN en raison du double jeu de la Turquie, s’est entretenu dès dimanche soir au téléphone avec son homologue. Ils ont convenu « de se rencontrer prochainement ». La participation de M. Erdogan au sommet de la Communauté politique européenne, le 1er juin près de Chisinau, en Moldavie, était encore incertaine lundi matin.
Le ton est tout aussi conciliant à Bruxelles, où l’on espère relancer les relations avec l’homme fort d’Ankara. Celles-ci ont connu de multiples tensions, au fil de la dérive autoritaire du dirigeant turc, au point que les négociations d’accession de la Turquie à l’Union européenne (UE), lancées en 2005, sont désormais au point mort. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est dite « impatiente de continuer à développer les relations UE-Turquie. Il est d’une importance stratégique pour l’Union européenne et la Turquie de travailler à faire progresser cette relation, au profit de nos peuples ».
Après une demi-douzaine d’années de relations orageuses entre Europe et Turquie, une éclaircie est-elle en vue ? En mars 2021, le Conseil européen avait déclaré que « l’UE était prête à établir des contacts avec la Turquie de manière progressive, proportionnée et réversible dans des domaines d’intérêt commun, sous réserve de conditions établies ». Pour l’instant, assure un diplomate européen, « ces conditions n’ont pas évoluées ».
Dans un communiqué publié dès dimanche soir, Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, et le commissaire à l’élargissement et à la politique de voisinage, Oliver Varhelyi, ont insisté sur « une relation constructive pour notre prospérité et notre stabilité partagées sur la base d’engagements en faveur des droits de l’homme, de l’Etat de droit, du droit international et de la stabilité régionale ».
Vladimir Poutine n’a pas boudé son plaisir
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a espéré sur Twitter que la réélection de M. Erdogan donnerait « un nouvel élan » aux relations bilatérales entre les deux pays, « partenaires étroits et alliés ». En Grèce, le premier ministre par intérim, Ioannis Sarmas, désigné pour préparer de nouvelles élections le 25 juin, a souhaité « paix et prospérité au peuple turc ». Son prédécesseur, qui espère revenir au pouvoir à la tête d’une majorité absolue, Kyriakos Mitsotakis, a formulé le vœu que « l’amélioration » des relations entre les deux pays, après les tremblements de terre de février, « se poursuive ». Après ces séismes, qui ont fait plus de 50 000 morts, Athènes avait, comme d’autres capitales européennes, multiplié les efforts pour secourir les populations touchées.
De son côté, Vladimir Poutine n’a pas boudé son plaisir. Pour le président russe, la victoire de M. Erdogan est « le résultat logique de [son] travail dévoué » à la tête du pays et une « preuve évidente » du soutien de la population à sa politique. Vladimir Poutine a loué les « efforts » de son homologue turc « pour renforcer la souveraineté de l’Etat et mener une politique étrangère indépendante ».
Par ailleurs, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman, a envoyé ses « sincères félicitations » à Recep Tayyip Erdogan, alors que les relations entre Riyad et Ankara ont été gelées pendant plus de trois ans après l’assassinat, à la fin de 2018, à Istanbul, du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. La clôture en 2022, par la justice turque, du procès de l’assassinat a ouvert la voie au rapprochement entre les deux puissances régionales.
Par Philippe Jacqué et Philippe Ricard dans Le Monde du 29 mai 2023.