Le chef d’Etat sortant a recueilli 49,5 % des voix au premier tour, disputé il y a deux semaines, contre 44,9 % pour le candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu. Par Nicolas Bourcier dans Le Monde du 28 mai 2023.
Les estrades sont repliées, les banderoles rangées et les sonos débranchées. La campagne présidentielle turque a pris fin dans une atmosphère d’amertume et de surenchère verbale, dont l’outrance s’explique peut-être par le fait que le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, doit pour la première fois s’adonner, dimanche 28 mai, à l’exercice d’un second tour, après vingt ans de règne presque sans partage. Du bout des lèvres, il a dû reconnaître en public, devant les caméras, qu’une vidéo utilisée lors d’un de ses meetings était un montage. Dans un clip, les images laissaient suggérer que son adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, avançait main dans la main avec les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Le candidat de la coalition d’opposition, qui a recueilli 44,9 % des voix au premier tour contre 49,5 % pour son rival, a porté plainte contre le chef de l’Etat, le sommant également de se soumettre à un débat public avec son contradicteur. Après une première semaine marquée par un durcissement spectaculaire de sa position sur la question des réfugiés pour tenter de rattraper son retard, Kemal Kiliçdaroglu a adouci son verbe envers les Syriens présents en Turquie et demandé à l’Europe de payer son dû : « Nous nous débattons avec ces problèmes pour ménager le confort de l’Europe, nous allons y remédier, vous verrez », a-t-il affirmé mercredi 24 mai, dans une émission au public uniquement composé de jeunes. Les quatre heures d’enregistrements ont été vues plus de vingt et un millions de fois sur la chaîne du youtubeur et animateur Oguzhan Ugur.
Les derniers sondages, auxquels quasiment plus personne ne semble prêter attention étant donné leur imprécision au premier tour, ont été publiés jeudi. Ils donnent, cette fois-ci, une avance de 5 points pour le président sortant. L’Institut Konda projetait une victoire de Recep Tayyip Erdogan avec 52,7 % des suffrages contre 47,3 % pour son rival de l’opposition.
Traitement médiatique discriminatoire
Le même jour, malgré l’alliance de Kemal Kiliçdaroglu avec le Parti de la victoire (Zafer Partisi), une formation d’extrême droite anti-immigration et xénophobe, le Parti démocratique des peuples (HDP, gauche pro-kurde) a renouvelé son appel à voter pour le candidat de l’opposition. « Erdogan n’a jamais été une option pour nous », a expliqué Pervin Buldan, coprésidente du parti. Elle a appelé à se rendre aux urnes pour mettre fin au « régime d’un seul homme ». Sur Twitter, l’ex-coprésident Selahattin Demirtas, emprisonné depuis 2016, a réitéré l’appel depuis sa cellule : « Il n’y a pas de troisième tour dans cette affaire. Faisons de M. Kiliçdaroglu le président, laissons la Turquie respirer. Allez aux urnes, votez ! »
Dans un communiqué, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé, vendredi, un traitement médiatique discriminatoire et un déséquilibre flagrant de moyens dévolus à l’opposition. « On peut toujours débattre des qualités et défauts des candidats, de leurs programmes ou de la sociologie politique du pays : la vérité c’est que le système médiatique mis en place constitue un trucage massif des élections en privant les citoyens d’une délibération démocratique », estime le représentant local de RSF, Erol Onderoglu.
Selon un décompte officiel, le président sortant a bénéficié de soixante fois plus de couverture télévisée que son rival sur la grande chaîne publique TRT. En cumulé, sur un mois, cela équivaut à trente-deux heures d’antenne pour Recep Tayyip Erdogan, contre trente-deux minutes pour Kemal Kiliçdaroglu, d’après le décompte du Conseil supérieur de la radio-télévision (RTÜK).