Alors que le scrutin du 28 mai s’annonce serré, l’opposition turque bat le rappel de ses partisans pour tenter d’assurer une surveillance et une transparence maximale dans les bureaux de vote. Le nombre de volontaires pour surveiller le processus a été multiplié par quatre par rapport au premier tour, selon la presse locale. Par Courriel International du 22 mai 2023.
Interrogé, lors d’un entretien diffusé le 19 mai sur la chaîne américaine CNN International, à propos des critiques de son autoritarisme croissant, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, répondait : “Comment une personne qui accepte de ne pas gagner dès le premier tour [il a obtenu 49,5 % des voix lors du scrutin du 14 mai] et d’en organiser un second peut-elle être qualifiée de dictateur ?”
Pourtant, l’inquiétude monte dans les rangs des électeurs de l’opposition sur de possibles fraudes qui auraient entaché le premier tour et qui pourraient être au rendez-vous du second tour, prévu dans six jours, le dimanche 28 mai.
En effet, dans la région de Hatay, la plus touchée par le double séisme dévastateur survenu en février, le président turc a maintenu son score de 2018. Pis encore, selon l’opposition, le taux de participation n’y a baissé que de 4 % malgré les dizaines de milliers de morts et les centaines de milliers de déplacés.
“Ils ont pu faire voter des morts en se servant de leurs papiers d’identité”, prétend un scrutateur local, membre de l’opposition, dans une interview au média en ligne Gerçek Gündem. Il dénonce de multiples irrégularités dans la région et appelle l’opposition à se mobiliser en masse pour contrôler le processus électoral, en particulier dans les zones favorables au parti au pouvoir et à son allié d’extrême droite.
Des partisans masqués du pouvoir
“Les championnats de la triche”, titre ironiquement le quotidien de gauche Birgün, qui souligne dans un article que “les fraudes ont commencé en 2017”, à l’occasion du référendum instaurant un régime présidentiel, remporté à 51,4 % par Erdogan alors que des millions de bulletins douteux avaient été jugés valides à la dernière minute par le Haut Conseil électoral (YSK).
Cette fois aussi, plusieurs scandales ont émaillé le scrutin, selon le journal :
Dans de nombreux bureaux de vote situés dans des zones majoritairement kurdes, les bulletins en faveur du YSP ont été enregistrés en fin de journée au profit de l’extrême droite, s’indigne, photos à l’appui, le parti d’opposition.
Emprisonné depuis 2016, Selahattin Demirtas, leader du parti prokurde HDP, dont les candidats se sont présentés cette année sous la bannière du YSP, a mis en garde dans une série de messages envoyés depuis sa prison contre les risques de fraude lors du second tour, rapporte le quotidien Evrensel.
Le contrôle de la fraude s’appuyant sur les rapports établis par les représentants des différents partis présents dans les bureaux de vote, il suffit que des volontaires du parti d’opposition soient en fait des partisans masqués du pouvoir pour fausser la donne, ajoute-t-il. “Si, dans 20 000 bureaux de vote [sur les 191 000 que compte le pays], 150 bulletins sont volés à chaque fois, ce sont 3 millions de voix qui sont escamotées, permettant de faire basculer l’élection”, a prévenu le leader kurde, alors que l’écart de suffrages au premier tour entre les deux candidats à la présidence n’était que de 2,5 millions de voix.
“Préparez vos armes”
Le défi pour le second tour est donc, pour l’opposition, de parvenir à déployer suffisamment de scrutateurs de confiance dans les campagnes et les petits bureaux de vote. Les associations de la société civile jouent aussi un rôle important dans ce processus.
La plus ancienne association du secteur, Oy ve Ötesi, se réjouit notamment que le nombre de candidatures de volontaires pour observer le second tour ait été multiplié par quatre par rapport au premier tour, atteignant les 200 000 personnes, rapporte le média en ligne T24.
Mais l’atmosphère de tension qui règne dans le pays risque de décourager les volontaires de se rendre dans les bureaux des régions ou quartiers majoritairement acquis au pouvoir.
Signe de cette tension, une vidéo a suscité un scandale sur les réseaux sociaux, rapporte le quotidien d’opposition conservateur Karar. On y entend l’imam d’une mosquée du quartier pro-Erdogan de Sultangazi à Istanbul prévenir, lors de son prêche du vendredi : “Le 28 mai au soir, préparez vos armes, moi j’ai deux fusils et ils sont chargés jusqu’à la gueule.”