Opposé à Erdogan au second tour de la présidentielle, le candidat de gauche essaie de séduire l’électorat de droite pour augmenter ses chances de victoire. Par Hugo Romani sur LePoint.fr du 21 mai 2023.
inan Ogan peut se frotter les mains. Malgré son score assez faible (5,17 %), le candidat nationaliste voit ses thèmes placés au cœur de la campagne pour le second tour. Et pour cause, les deux candidats qualifiés, Recep Tayip Erdogan et Kemal Kiliçdaroglu, ont tous les deux besoin de ses voix pour battre leur adversaire. L’opposant au président turc, candidat pour le CHP (classé au centre gauche de l’échiquier politique turc), est contraint de tout faire pour récupérer des voix de la droite, puisqu’avec près de cinq points de retard il semble pour l’heure assez distancé par Erdogan. Un changement de ton, relevé par Le Monde.
L’offensive a débuté le mercredi 17 mai avec une déclaration sans équivoque sur la question des réfugiés. « Nous n’abandonnerons pas notre patrie à cette mentalité qui a introduit 10 millions de sans-papiers parmi nous », a-t-il déclaré. Il ne faut toutefois pas y voir un revirement de la part de Kemal Kiliçdaroglu. Le candidat a toujours réclamé le départ des réfugiés, les Syriens notamment, mais désormais, la violence de son discours le rapproche des ultranationalistes proches d’Ogan.
La question kurde au cœur du débat
Le calcul politique est clair : faire passer Erdogan pour un candidat plus tiède sur les questions migratoires. Lors d’une tribune au quartier général de son parti, Kiliçdaroglu n’a pas hésité à tancer sévèrement le président turc sur la question kurde. « Erdogan, n’est-ce pas toi qui t’es assis maintes fois à la table des négociations avec les organisations terroristes ? » a-t-il demandé. Le candidat fait référence au processus de paix enclenché avec le Parti des travailleurs kurdes (PKK) depuis l’élection du président actuel.
Les relations entre les deux candidats et les Kurdes sont d’ailleurs au cœur du débat. Erdogan a lui-même accusé Kiliçdaroglu d’entretenir des relations avec le PKK – organisation classée comme terroriste en Turquie – afin d’obtenir le soutien du parti HDP, une mouvance de gauche prokurde. L’enjeu électoral est à nouveau immense : Sinan Ogan a manifesté à plusieurs reprises son hostilité totale envers les Kurdes. Chaque prise de position contre ou pour ce peuple peut faire fluctuer d’une manière très importante les suffrages des deux candidats.
Un lien renoué avec l’extrême droite
Pour jouer son va-tout, ce vendredi 19 mai, Kemal Kiliçdaroglu a choisi de rencontrer Ümit Özdag, chef du Parti de la victoire, classé à l’extrême droite de l’échiquier politique turc. Le Monde révèle que, au cours d’une déclaration commune, le candidat de gauche a remis l’accent sur la nécessité de renvoyer les demandeurs d’asile dans leur pays d’origine en promouvant l’utilisation d’accords de réadmission. Il se murmure d’ailleurs que Sinan Ogan (soutenu à la présidentielle par Özdag) pourrait obtenir un poste ministériel, voire la vice-présidence, en cas de victoire de Kiliçdaroglu.
L’hypothèse paraît toutefois assez peu probable pour le moment. Erdogan a frôlé la victoire dès le premier tour le 14 mai et l’anti-erdoganisme semble être bien moins présent que ce qu’annonçaient les sondages. Surtout, en tentant de séduire la droite et l’extrême droite, Kiliçdaroglu ne risque-t-il pas de « perdre des plumes » à gauche ? Selon le journaliste turc Ferit Aslan interrogé par Le Monde : « Les élections ont tellement déprimé les électeurs du YSP [le Yesil Sol, Parti de la gauche verte, prête-nom du HDP pour ces élections, poursuivi en justice, NDLR] que je ne suis pas sûr que la participation sera aussi élevée que la précédente pour le 28 mai. » Une éventuelle démobilisation de cette partie de l’électorat sera à coup sûr une épine importante dans le pied de l’opposant.