En quelques années, le Parti ouvrier de Turquie (TIP) a atteint une audience inhabituelle pour une organisation se réclamant du communisme en Turquie. À quelques jours des élections, il espère créer la surprise aux législatives. Par Timour Ozturk dans Les Echos du 7 mai 2023.
Lundi 1er mai, un long cortège défile au bord de la mer de Marmara sur la rive asiatique d’Istanbul. Les drapeaux rouges frappés du logo du Parti ouvrier de Turquie (TIP) – deux épis de blé et une roue dentée entrelacés – flottent au-dessus d’une foule jeune et nombreuse.
Le dirigeant du mouvement, Erkan Bas, harangue ses partisans : « Ce 1er Mai est le dernier que nous célébrons sous un gouvernement d’ennemis des ouvriers, d’ennemis des femmes, des Kurdes […] Choisissez tous dès maintenant le portrait de Recep Tayyip Erdogan que vous allez décrocher », lance le député.
Retour des communistes au Parlement
Fondé en 2017, par des militants issus d’une scission du petit Parti communiste de Turquie (TKP), le TIP fait son entrée au Parlement l’année suivante. Lors des législatives de 2018, Erkan Bas et Baris Atay, ses principales figures, deviennent les premiers députés se réclamant du communisme en Turquie depuis près de cinquante ans.
Pour avoir une chance de les faire élire, la petite formation marxiste avait alors présenté ses candidats sous l’étiquette du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche prokurde), troisième force politique à l’assemblée. Depuis, le TIP a gagné deux autres députés à sa cause en cours de mandature : le journaliste Ahmet Sik venu des rangs du HDP et l’avocate Sera Kadigil, élue sur les listes du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste).
Rapidement, les qualités de tribuns de ses quatre députés décuplent l’audience du TIP chez les électeurs de l’opposition, largement au-delà des cercles de l’extrême gauche turque.
Vague d’adhésions
Un succès inhabituel pour une gauche radicale atone depuis les années 1960 et 1970. Bien qu’il n’y ait pas d’héritage direct, le TIP se réclame d’ailleurs d’un précédent Parti ouvrier de Turquie, créé par des syndicalistes révolutionnaires en 1961 et interdit après le coup d’Etat militaire de mars 1971.
Le programme du TIP parle aujourd’hui toujours de mener « la classe ouvrière vers la révolution » et d’abolir « la propriété privée des moyens de production ». Ses revendications de hausses de salaire trouvent un écho dans un contexte de forte inflation.
Mais loin de se cantonner à des mots d’ordre purement économiques, le TIP représente aujourd’hui un débouché politique pour une génération qui s’est mobilisée, il y a dix ans, lors du mouvement de Gezi. Le parti défend une ligne féministe, accueille en son sein des militants LGBT, écologistes, et se fait l’avocat des droits des minorités en Turquie, notamment ceux des Kurdes.
Une tactique gagnante : le parti connaît une popularité croissante. En janvier dernier, une interview du député Baris Atay est visionnée près de 20 millions de fois sur YouTube. Face à un public de jeunes, cet ancien acteur livre une prestation impeccable et vulgarise le programme du mouvement.
Aide aux victimes du séisme
Puis, après le séisme du 6 février dans le sud-est du pays, le TIP se mobilise en solidarité avec les sinistrés. À Antakya, le parti monte un camp et distribue repas chauds, produits de première nécessité et médicaments. Ces six derniers mois, l’organisation passe de 10.000 adhérents à environ 40.000.
Le TIP soutient ouvertement Kemal Kiliçdaroglu (CHP), le principal candidat de l’opposition à la présidentielle. Toujours allié au HDP au sein d’un cartel électoral, le TIP présentera cette fois ses candidats sous ses propres couleurs aux législatives du 14 mai. Une position résumée par le mot d’ordre « Une voix pour Kiliçdaroglu, une voix pour le TIP », qui séduit une partie des électeurs de la gauche du CHP.
Alors que le parti est crédité dans les sondages de 1 % à 3 % d’intentions de vote (soit entre 500.000 et 1,5 million de voix), la direction du TIP souhaite au moins conserver quatre députés à l’assemblée et espère au moins doubler son nombre de sièges. Et s’il appelle à voter Kiliçdaroglu à la présidentielle, le député Erkan Bas prévient : « Nous vaincrons Recep Tayyip Erdogan ensemble. Mais demain, nous continuerons à défendre les droits des travailleurs face à un nouveau gouvernement issu de l’actuelle opposition. »