Série « Turquie, la République à l’heure des choix » Épisode 1/4 : Élections du 14 mai : fin de règne pour l’AKP ? Pour écouter l’émission du 2 mai sur France Culture.
Après vingt ans sous le gouvernement d’un Recep Tayyip Erdogan de plus en plus puissant, la Turquie pourrait connaître l’alternance. Avec les élections présidentielle et législatives du 14 mai 2023, la coalition d’opposition semble résolue à prendre sa place.
Avec
- Bayram Balci Directeur de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul, chercheur au CERI-Sciences Po
- Yohanan Benhaïm docteur en science politique, responsable du pôle Etudes contemporaines à l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes, et responsable Turquie au centre de recherche Noria.
- Gökçe Tuncel Doctorante à l’EHESS en sociologie politique, travaille sur les mouvements sociaux en Turquie
Les deux tremblements de terre qui, avec leurs 50 000 morts, ont endeuillé la Turquie en février n’ont pas entraîné le report des élections présidentielle et législatives turques prévues le 14 mai 2023. Cette date n’a pas été choisie au hasard : le 14 mai 1950, Adnan Menderes est élu par ses concitoyens et met fin au règne d’Atatürk, le père de la Turquie moderne. Menderes a gouverné le pays pendant dix ans, laissant à l’islam plus de liberté. En 1960 il est renversé par un coup d’Etat militaire, et exécuté un an plus tard. Cette date du 14 mai est donc importante pour la frange la plus conservatrice de l’électorat de Recep Tayyip Erdogan.
Au pouvoir depuis 20 ans, Erdogan et son parti, l’Akp, ont eu le temps de laisser leur marque sur la Turquie. Après des débuts progressistes dans une Turquie en pleine croissance et tournée vers l’Occident, le pouvoir a pris un tournant autoritaire, défiant les partisans d’un système démocratique et laïc. Le chef de l’État turc remet en jeu aujourd’hui son mandat de président, mais aussi de chef du gouvernement, les deux fonctions étant confondus en Turquie depuis la réforme constitutionnelle de 2017. Recep Tayyip Erdogan risque de devoir jouer le jeu de l’alternance face à une coalition résolue à le faire tomber, lui, et son parti, aux élections législatives.
Quelles promesses et quel renouveau l’AKP peut-il promettre à sa base électorale après vingt ans de pouvoir ? Comment l’opposition, de son côté, compose entre l’héritage kémaliste et la nécessité de séduire un électorat large ?
Julie Gacon reçoit Bayram Balci, chercheur au CERI-Sciences Po, directeur de l’Institut français des études anatoliennes à Istanbul ainsi que Yohanan Benhaim, responsable des études contemporaines à l’IFEA et responsable Turquie à Noria Research.
Pour Bayram Balci, la réélection d’Erdogan est plus qu’incertaine : “en 20 ans de pouvoir, Erdogan et son parti ont installé un système clientéliste qui a permis d’améliorer le niveau de vie de nombreux Turcs et leur fidélité électorale. Avec la crise économique, ça ne marche plus. L’accaparement et la centralisation du pouvoir par l’AKP sont aujourd’hui très critiqués.”
Selon Yohanan Benhaïm, la déportation vers la droite du parti au pouvoir n’est pas sans créer des tensions dans sa coalition : “depuis 2015 et le retour de la guerre contre les Kurdes du PKK, l’AKP se réinvente autour d’un discours souverainiste, étatiste et guerrier qui parle aux milieux d’extrême droite. […] Ça le met d’ailleurs en contradiction avec son ADN originel par exemple sur la condamnation des violences faites aux femmes.”
Avec Gökçe Tuncel, doctorante à l’EHESS en sociologie politique, spécialiste des mouvements sociaux en Turquie.
Après les tremblements de terre qui ont bouleversé la Turquie et sa région au mois de février 2023, deux clubs de foot stambouliotes ont protesté contre l’inaction d’Erdogan et de l’AKP. Slogans critiques, jets de peluche en l’honneur des enfants victimes et cris d’espoir d’une alternance ont rempli les stades. L’événement est dans la continuité d’une histoire d’inimitié entre ces clubs et Erdogan, qui cherche à les faire taire depuis plus de dix ans, dans un pays où les stades sont des lieux d’expression et d’affrontement politique majeurs.
Selon Gökçe Tuncel, les stades de foot stambouliotes sont des lieux importants de contestation du pouvoir et sont donc dans le viseur de l’AKP : “Le club de Besiktas souffre d’une longue histoire de répression, notamment depuis le mouvement de protestation Gezi en 2013, [auquel une partie de ses supporters ont pris part] suite à quoi 35 supporters ont été accusés de tentatives de coup d’État.”