En Turquie, la production de matériel militaire est devenue l’un des piliers industriels du pays, au service de la politique extérieure très proactive de Recep Tayyip Erdogan. Pour écouter l’émission par France Inter du 3 mai 2023. Avec
- Tolga Bilener Docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à l’université Galatasaray
- Sümbül Kaya Docteure en sciences politique, chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem)
- Aurélien Denizeau Docteur en sciences politiques de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales, chercheur en relations internationales
Investissements et développement de l’industrie de la défense, innovations technologiques : le renforcement des capacités militaires de la Turquie a été l’un des objectifs d’Erdogan tout au long de son mandat. Dans le secteur des drones de combat notamment, la Turquie a su s’imposer comme un acteur incontournable, une percée rendue visible par le succès des Bayraktar TB2 en Ukraine.
Au cœur du projet : une souveraineté technologique qui rendrait la Turquie moins dépendante des importations de ses alliés, très prompts à déclarer des embargos. C’est aussi une question économique : les exportations tournent désormais à plein régime pour un chiffre d’affaires estimé l’année dernière à près de quatre milliards et demi de dollars.
Cette puissance militaire renforcée se met au service d’une politique de projection et de rayonnement à l’international. Les livraisons de drones TB2 à l’Ukraine, pour faire face à l’armée russe, permettent de faire bonne figure auprès des autres membres de l’Otan. D’autres sorties sont plus belliqueuses, comme en Irak et en Syrie contre les Kurdes. La présence en Lybie ou en Afrique relèvent elles surtout de la démonstration de puissance.
Se considérant elle-même comme “colonne vertébrale” de la nation, l’armée turque est historiquement associée au kémalisme. Cependant, la tentative de putsch de 2016 et la purge qui s’est ensuivie ont modifié cette place de l’armée dans l’Etat.
Comment Recep Tayyip Erdogan, qui remet la semaine prochaine son mandat en jeu, a-t-il réussi à faire de la Turquie la puissance exportatrice qu’elle est aujourd’hui en matière d’armements ? Comment l’Etat se mêle aujourd’hui des affaires des industriels privés ? Et jusqu’où peut le suivre l’armée turque ?
Julie Gacon reçoit Tolga Bilener, docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à l’université Galatasaray ainsi que Sümbül Kaya, docteur en sciences politique, chercheuse à l’Irsem.
Selon Tolga Bilener, la recherche d’autonomie militaire est un projet qui fait consensus en Turquie : “tout ce débat sur l’indépendance de l’industrie militaire flatte le nationalisme turc, y compris celui de l’opposition. Cependant, cette autonomie militaire n’a pas encore été atteinte, elle en est à 80%. La Turquie revient de loin puisqu’en 2000, elle ne produisait que 20% de son matériel militaire.”
Les drones turcs ne sont que la partie la plus visible de la politique de Recep Tayyip Erdogan ajoute Tolga Bilener : “on parle de dronisation de la politique étrangère turque, surtout en Afrique, mais en réalité, le pays développe tous les pans de l’industrie de défense des fusils d’assaut aux chars lourds en passant par le matériel naval, les obusiers, la liste est longue.”
Selon Sümbül Kaya, l’armée a perdu sa toute-puissance : “Erdogan a affaibli les forces armées turques. Le chef d’État-major n’a plus du tout le pouvoir d’autrefois. Il pouvait à l’époque provoquer la chute de gouvernements. Les purges ont aussi rendu l’armée plus conforme aux attentes de l’AKP sans être complètement monolithique.”
Seconde partie : le focus du jour
La puissance navale turque
Avec Aurélien Denizeau, docteur en sciences politiques de l’Inalco, chercheur en relations internationales.
Le 10 avril dernier, Recep Tayyip Erdogan inaugurait le premier porte-drones au monde, le TGC Anadolu. La mise en service de ce nouveau navire-amiral vient couronner les efforts entrepris depuis deux décennies par la Turquie pour devenir une puissance navale.
Selon Aurélien Denizeau : “il y a clairement eu une opération de communication autour de ce navire avec une véritable fierté dans la population, mais en réalité, c’est loin d’être la préoccupation première par ces temps de crise économique.”
Le renforcement de la flotte vient notamment répondre à la politique pro-active de la Turquie dans l’océan Indien analyse Aurélien Denizeau : “l’océan Indien touche un certain nombre de régions qui intéressent la Turquie : la péninsule arabique, l’Iran et bien sûr l’Afrique où elle s’est beaucoup investie ces dernières années avec un certain nombre de succès. Pour pouvoir agir dans ces zones, il faut disposer de capacités de projection, au XXIe siècle, l’outil naval est indispensable pour cela.«