Serkan Sincan expose les objets qu’il retrouve dans les décombres, en espérant que leurs propriétaires les retrouveront « quand la vie reviendra à la normale ». Rapportage dans France Info du 16 mars 2023.
Une drôle de rencontre dans une ville fantôme, désertée par ses habitants. À l’angle de la célèbre rue Kurtuls, aujourd’hui en ruines, un radiocassette chante à tue-tête. On y découvre alors deux fauteuils sur un trottoir, de vieilles chaises, des bibelots, des tableaux.
Serkan Sincan se fait guide : « Là, vous avez le drapeau turc, le drapeau ottoman, ça, ça vient du Coran. Atatürk, un bon dirigeant, Mona Lisa, mon père, Jérusalem, Istanbul, Antioche, Jésus Christ… Les 3 religions, tous amis. Ça, c’est un album de vieilles photos que j’ai trouvé dans les décombres. Peut-être, quand la vie reviendra à la normale, ses propriétaires le retrouveront et je leur donnerai« , détaille cet antiquaire d’Antioche, revenu dans sa ville peu après le séisme du 6 février.
« On a essayé de créer une belle atmosphère pour encourager les habitants à revenir ici »
Depuis, il court de tous côtés pour aider ceux qui recherchent des débris de leur vie dans les décombres, avant d’exposer son bric-à-brac dans la rue. Son frère, supporter du club de foot stambouliote de Besiktas, s’est précipité pour l’aider : « Serkan était seul ici. On a imaginé ce projet, il y a à peu près une dizaine de jours. Comment redresser Antioche ? Comment donner une belle énergie aux gens ? Comment faire renaître cette rue ? On a donc monté ce projet. Comme vous le savez, la musique nourrit l’âme. On a essayé de créer une belle atmosphère pour encourager les habitants à revenir ici », explique-t-il.
Cette ville millénaire avait une âme bien particulière, assurent les anciens habitants. Une ville aux cultures et origines mêlées : chrétiens, juifs, musulmans, Arabes, Arméniens… C’est à cet esprit que Serkan songe avec nostalgie. « Je veux dire à mes voisins, les commerçants de la rue Kurtulus, revenez ! Ici, les gens viennent de l’ouest, de l’Est. Nous pouvons être une mosaïque de nouveau« , assure-t-il.
Mais là, il doit nous quitter : c’est l’heure de la prière. Les imams sont partis, les minarets sont à terre. Alors, il monte sur son balcon, et, depuis cette maison centenaire, qui fut propriété d’une famille chrétienne d’Antioche, monte l’appel à la prière.
La douleur est là, les blessures profondes, mais il faudra bien les panser. « En islam, vous pouvez pleurer durant trois jours. Après, vous devez revenir dans la vie pour aider votre famille ou vos amis. Et maintenant nous devons revenir, pour aider les enfants en priorité parce que beaucoup d’entre eux ont perdu leur papa et leur maman« , assure-t-il. La ville ne résonne plus des cris d’enfants. Mais Serkan en est sûr : elle renaîtra de la poussière.