La Veille politique et électorale de la Turquie de l’Institut Thomas More est un outil mensuel de suivi et d’analyse de l’actualité politique turque dans la perspective de l’élection présidentielle de 2023. Elle est rédigée en anglais et en français et est composée de trois parties : prévisions électorales, agenda politique (comprenant des questions poli- tiques intérieures, économiques et socio-politiques) et analyse. La Veille N°5 couvre la période allant du 15 janvier au 15 février 2023.
Le tremblement de terre du 6 février turque
Le 6 février à 04h17, heure de Turquie, un séisme de magnitude 7,7 (échelle de Richter)s’est produit dans le district de Pazarcık à Kahramanmaraş. Plusieurs séismes, d’une magnitude de 5,1 à 6,6, ont ensuite frappé dix provinces: Adana, Adıyaman, Diyarbakır, Hatay, Malatya, Kilis, Gaziantep, Kahramanmaraş, Osmaniye et Şanlıurfa. Le même jour, un autre séisme d’une magnitude de 7,6 s’est produit à 9 heures d’intervalle dans le district d’Elbistan de Kahramanmaraş. Selon la déclaration officielle de la Présidence de la gestion des catastrophes et des urgences (AFAD) du ministère de l’Intérieur, plus de 12 000 bâtiments ont été détruits et plus de 66 000 unités indépendantes ont été dévastées. Jusqu’à présent, on dénombre plus de 35 000 morts, auxquels s’ajoutent ceux de Syrie (plus de 3 600 morts) , et plus de 100 000 blessés. Ce bilan n’est que provisoire mais continue d’augmenter de manière grave.
La catastrophe à laquelle la Turquie est confrontée est gigantesque. Le nombre de personnes directement touchées est estimé à 13,5 millions par les autorités de l’État. Au-delà, c’est toute la population de la Turquie qui est touchée. Certains ont perdu des proches, d’autres ont perdu leurs souvenirs. Ceux qui ont vécu dans leur chair le séisme et ses répliques, mais aussi ceux qui se trouvent dans d’autres régions géographiques, se sentent vulnérables à tous les autres risques et catastrophes que la vie peut apporter.
Les Turcs ne connaissent toujours pas le nombre exact de pertes, il y a toujours des victimes qui ne peuvent être atteintes, qui ne peuvent être sorties des décombres. La population est encore sous le choc. Des villes ont été détruites. Les zones industrielles de la région sont dévastées. Bien que sept jours de deuil national aient été officiellement déclarés, la Turquie n’en est pas là. La colère, la tristesse, le désarroi et la mobilisation de l’aide sont vécus en même temps.
Dans une telle atmosphère, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Recep Tayyip Erdoğan fait face à des critiques de la part des survivants et des figures de l’opposition pour avoir rendu la Turquie plus vulnérable aux séismes, ou du moins n’avoir pas sur protéger la population des zones à risque, et pour le manque de force et de promptitude du gouvernement dans l’organisation des secours.
Les hommes sont, bien sûr, impuissants face à une secousse d’une telle ampleur qu’ils ne peuvent contrôler. Néanmoins, le peuple turc est néanmoins très remonté. Vingt-quatre ans après le séisme du 17 août 1999, presque tout se passe de la même manière. Or, le gouvernement turc aurait dû et pu être mieux préparé pour éviter ce scénario catastrophe. La réaction à cette tragédie indicible vient du sentiment que beaucoup de ces morts auraient pu être évitées. Si le secteur de la construction n’est pas contrôlé, et que les normes anti-sismiques ne sont pas respectées, bâtiments, routes et quartiers s’effondrent. Lorsque le produit une secousse tellurique.
Dans le plus grand désordre général, la société turque s’efforce de panser ses propres blessures comme dans toute catastrophe. Pourtant, une question politique se pose : ce séisme peut-il faire tomber le président Erdoğan, l’homme qui a consolidé son pouvoir grâce à des révisions constitutionnelles, qui a court-circuité le parlement afin de contrôler les différents niveaux du gouvernement ? Une phrase revient souvent: “Erdoğan, qui est venu avec le séisme, partira avec le séisme ».
Le 17 août 1999, lors d’un précédent séisme (18 000 morts), Erdogan avait su gagner le cœur et l’esprit des gens en reprochant au gouvernement de ne pas bien utiliser les ressources financières face à la catastrophe, de ne pas savoir coordonner l’action publique et mobiliser l’appareil d’Etat. Depuis, la mémoire du séisme de 1999 et la crainte d’une répétition du même scénario hantaient les Turcs. Vingt-quatre ans plus tard, une dévastation et des pertes encore plus grandes ont réveillé les traumatismes de la société. Désormais, les répliques menacent le pouvoir d’Erdoğan.
Séisme, état d’urgence et élections
Juste avant les séismes du 6 février, les prochaines élections générales étaient le sujet le plus discuté en Turquie. La Turquie est entrée dans l’atmosphère d’une élection qui se tiendra le 14 mai bien que cela n’ait pas encore été annoncé officiellement. Désormais, avec 13,5 millions de personnes directement touchées par la catastrophe, les dix villes affectées sont confrontées à un état d’urgence qui pourrait rendre impossible le passage aux urnes. En outre, la question de savoir si l’état d’urgence déclaré dans les villes touchées après le séisme aura un impact sur les prochaines élections a également été envisagée.
Deux jours après le séisme, l’état d’urgence a été déclaré pour trois mois dans les dix villes touchées (Adana, Adıyaman, Diyarbakır, Gaziantep, Hatay, Kahramanmaraş, Kilis, Malatya, Osmaniye, Şanlıurfa) afin d’assurer la sécurité et d’étendre les secours. Il n’a échappé à personne que l’état d’urgence de trois mois durera jusqu’aux élections générales. En supposant que les élections auront lieu à la date prévue, il faut savoir que le parti au pouvoir, du fait de l’état d’urgence, conservera de grands avantages. Cela signifie un contrôle sur un large éventail de questions allant du contrôle des médias à l’interdiction de se rassembler dans une zone donnée. Précédemment, Erdoğan a su utiliser ce type de situation pour ses fins politiques propres.
Une autre question se pose, celle de la date des élections. Selon la Constitution, le Parlement a le droit de décider de reporter les élections d’un an en cas d’état de guerre, mais rien n’est prévu pour les catastrophes naturelles. Il n’existe aucune disposition de ce type dans la loi sur l’état d’urgence. Pour les constitutionnalistes, les décrets présidentiels ne sont pas autorisés à limiter ou à réglementer les élections, et selon la législation actuelle, il n’est pas possible de reporter les élections uniquement en raison du séisme et de la déclaration de l’état d’urgence liée au séisme. Nous devrions par conséquent nous attendre à ce que les élections aient lieu à la date prévue. Toutefois, il est fort possible que la date initiale du 18 juin soit maintenue, au lieu du 14 mai précédemment évoqué.
D’autre part, il convient de souligner qu’il n’existe pas de recours judiciaire effectif contre la décision du Parlement de reporter les élections. Vu l’ampleur des dégâts, il ne sera pas possible de déblayer les décombres et de reprendre la construction en moins de trois mois. De nombreux bâtiments administratifs de la région ont été détruits. Des milliers de personnes ont perdu leur carte d’identité, des milliers d’autres personnes sont encore sous les décombres, le processus d’identification prendra sans doute beaucoup de temps. Comment les citoyens pourraient-ils participer au vote alors qu’ils sont préoccupés par la reconstruction de leur logement et de leurs moyens de subsistance ? Il n’est donc pas souhaitable que la Turquie se rende aux urnes en mai. Néanmoins, la décision est entre les mains d’Erdogan qui observe attentivement la situation. S’il décide d’organiser les élections le plus rapidement possible, il le fera en utilisant les possibilités que l’état d’urgence offre à son gouvernement. S’il perçoit la force des contraintes politiques, il pourrait reporter les élections.
Toutefois, si les élections étaient reportées, les conséquences d’un tel scénario ne seraient pas forcément bonnes pour Erdoğan. Il convient de bien mesurer la réaction du peuple turc à la tentative de report du verdict électoral par un gouvernement qui n’a pas su répondre aux besoins de la population et qui a été déclaré coupable.
Le séisme a-t-il aussi détruit Erdogan ?
Le président Erdoğan est effectivement inquiet sur le plan politique alors que cette catastrophe se déroule. Bien sûr, le fait que le pays ait été secoué par une catastrophe naturelle y est pour beaucoup. Il s’y ajoute les erreurs politiques commises après le désastre. Ces erreurs ont également ébranlé les piliers d’Erdogan mais son gouvernement a encore l’avantage d’être au pouvoir depuis longtemps et de maîtriser bien des leviers.
Le 7 février, Erdoğan a promis que toutes les ressources de la Turquie seraient mobilisées et a déclaré qu’il ne pouvait pas tolérer ceux qui exploiteraient cette catastrophe à des fins de campagne politique quelques mois avant les élections. Ces mots ont touché le cœur du peuple turc, mais le fait que le président a tardé à se rendre dans la région – il a effectué sa première visite à Kahramanmaraş le 8 février, soit deux jours plus tard -, le retard d’un jour de son discours à la nation, l’incapacité à déplacer rapidement les équipes d’intervention d’urgence, le retard de l’armée à mobiliser des moyens, la défaillance des canaux de communication et bien d’autres facteurs ont suscité une colère généralisée et des critiques à l’égard du gouvernement.
Tout d’abord, les citoyens des régions touchées se sont plaints de l’absence de services d’urgence et certains d’entre eux ont demandé « où est l’État ? ». AFAD, la principale agence d’intervention d’urgence du pays qui relève du ministère de l’intérieur, a été accusée de réagir avec une lenteur inacceptable. Une seule équipe de l’AFAD a été envoyée à Antakya, l’une des villes les plus touchées de la province du Hatay, qui a enterré des milliers de personnes. Cette situation a incité le public à porter son attention sur les organisations non gouvernementales turques telles que l’AKUT et l’AHBAP plutôt que sur l’AFAD. L’aide internationale a été envoyée à ces organisations, qui ont fait preuve d’énergie et d’initiative. Il en va de même pour bien des Turcs qui leur ont adressé leurs dons.
Deuxièmement, dans les premières quarante-huit heures, les critiques se sont multipliées sur l’hésitation du gouvernement à déployer l’armée turque, qui dispose de ressources considérables dans des circonstances aussi extraordinaires. Les infrastructures de base étant gravement endommagées, on se demande pourquoi Erdogan n’a pas mobilisé toute la puissance de l’État, pourquoi il n’a pas mobilisé l’armée pour distribuer de la nourriture et des vêtements aux survivants. Cette hésitation peut avoir coûté un temps précieux et de nombreuses vies. En outre, pourquoi au cours des dernières années le gouvernement a-t-il empêché les militaires d’être formés et de participer aux interventions en cas de catastrophe?
Troisièmement, lors de la catastrophe qui a bouleversé tout le pays, l’approche partisane du gouvernement, même pour fournir une aide d’urgence, restera dans les mémoires. Le matin du séisme, le président a appelé à soutenir les municipalités de l’AKP, mais a négligé d’appeler l’administration des municipalités contrôlées par l’opposition. À tel point que l’affirmation selon laquelle l’AFAD n’a pas été envoyée à Hatay, où la municipalité CHP est aux commandes depuis 2019, a provoqué un débat politique majeur. Deux semaines avant le séisme, le maire de Hatay, Lütfü Savaş, avait déclaré qu’il n’avait reçu aucune réponse aux lettres écrites aux ministères pour prendre des mesures contre le séisme. Au milieu de ces débats, le président, dans son discours à la nation le 7 février, a réprimandé avec colère ceux qui critiquaient les mesures prises par le gouvernement. Par la suite, des agences de presse ont rapporté que des enquêtes criminelles avaient été lancées contre des journalistes qui avaient osé rendre publiques leurs critiques.
Quatrièmement, le gouvernement a porté un coup aux personnes sur le terrain qui tentaient d’utiliser les moyens de communication des réseaux sociaux pour retrouver leurs proches et appeler à l’aide. Alors que les réseaux sociaux étaient inondés d’appels à l’aide, il est apparu que les fournisseurs d’accès à Internet turcs, étroitement liés au gouvernement, avaient commencé à limiter la bande passante des sites de réseaux tels que Twitter et Facebook. Bien que le gouvernement insiste sur le fait que les problèmes sont d’ordre technique, Erdogan a l’habitude de sévir contre les réseaux sociaux. Dans un discours public enflammé, il a prévenu qu’il s’en prendrait à ceux qui « répandent des mensonges » sur la catastrophe nationale. Face à une telle catastrophe, la liberté d’expression limitée en Turquie et le contrôle étendu des médias par le gouvernement sont devenus plus préoccupants. Des organisations internationales de défense de la liberté de la presse, dont la Fédération européenne des journalistes (FEJ), l’Institut international de la presse (IIP) et Media Freedom Rapid Response (MFRR), ont envoyé une déclaration signée aux autorités turques, leur demandant de s’abstenir de toute nouvelle restriction des médias à la suite des séismes dévastateurs.
Cinquièmement, la situation économique du pays s’est encore aggravée. Ceux qui ont travaillé toute une vie pour posséder un logement simple se sont réveillés le matin avec une grande perte ou n’ont pas pu se réveiller. La lutte du peuple turc contre l’inflation est devenue d’autant plus visible qu’il veut prêter main forte aux laissés-pour-compte. La dépréciation de la lire au cours des dernières années, conséquence de la politique déterminée du gouvernement visant à réduire les taux d’intérêt, a réduit la capacité des citoyens ordinaires à apporter leurs dons. Cela a également créé un sentiment d’impuissance. Erdogan a promis de faire don de 10 000 lires turques (530 USD) aux personnes touchées par le séisme et de subventionner leur loyer. L’économie du pays aura probablement besoin d’une aide étrangère plus importante pour les transformations à long terme telles que la reconstruction et la création d’industries. La réalité est que l’économie turque est écrasée par une inflation vertigineuse, et Erdoğan a été largement critiqué pour sa gestion d’un problème qui fait que des millions de personnes pauvres et de la classe moyenne ont du mal à joindre les deux bouts.
Toutes ces accusations sont adressées au gouvernement AKP parce qu’Erdoğan a centralisé le pouvoir entre ses mains pendant ses deux décennies au pouvoir. Il s’agit de l’évidement des institutions de l’État par le gouvernement, du placement de fidèles à des postes clés, de la destruction de la plupart des organisations de la société civile et de l’enrichissement de ses familiers. L’aboutissement de tout cela a ouvert la voie à la tragédie qui a frappé la Turquie le 6 février. Erdoğan devra travailler beaucoup plus dur pour apaiser la colère liée à ces échecs et assurer son propre avenir politique
Mais Erdoğan a encore une chance. La mesure dans laquelle la responsabilité du gouvernement est engagée dans de telles situations est plus ou moins claire dans les démocraties. Cependant, les dirigeants qui deviennent des figures autoritaires peuvent être identifiés à la figure paternelle qui pansera les blessures de la société et lui caressera sa tête en cas de catastrophe. Une génération entière est déjà née, a grandi et a été éduquée sous le règne d’Erdoğan. La main d’un “père de la nation” qui n’hésite pas à utiliser l’appareil d’État pour réprimer la soi-disant opposition et qui contrôle les médias est encore forte. Qui, dans une opposition désorganisée, joue le rôle de chef protecteur ? S’il a toujours été difficile de “décoder” la Turquie pro-Erdoğan, il est difficile de voir comment le pouvoir d’Erdoğan pourrait rester indemne après ce désastre.
Que reste-t-il de ferme et solide en politique ?
Avant l’indicible catastrophe du séisme, le bloc des « tables des six » avait changé de nom pour devenir l' »alliance nationale ». Il avait fixé au 13 février la date limite pour désigner ses candidats pour concourir contre Erdoğan. Cependant, avec le tremblement de terre, la manière de faire de la politique de l’opposition a inévitablement changé. Désormais, au lieu de se précipiter pour annoncer le candidat, elle critique de plus en plus les pratiques inadéquates du gouvernement pour minimiser les pertes dues au tremblement de terre.
Trois mois avant les élections, l’Alliance nationale a annoncé son programme de gouvernement. Un candidat commun devrait être annoncé dans un délai très court. La question de savoir si le candidat commun serait le président du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, a été soulevée. En fait, Kılıçdaroğlu a fait accrocher une bannière « J’arrive, moi, je suis Kemal » sur le bâtiment du siège, indépendamment de l’alliance nationale Cette situation a suscité des inquiétudes quant à l’existence d’une distance entre le maire métropolitain d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, et le leader du CHP. De surcroît, la rumeur veut que le parti IYI soit également contre la candidature de Kılıçdaroğlu. D’autre part, une simple analyse des sondages électoraux avant les récents séisme a montré que ni Erdoğan ni le candidat encore anonyme de la principale alliance d’opposition ne remporteraient la majorité des voix au premier tour. Cela signifie que le Parti démocratique des peuples (HDP), majoritairement kurde, sera décisif.
Dans une telle atmosphère, le séisme, que personne n’aurait pu prédire, a plongé la politique turque dans le brouillard. Il est devenu difficile de faire campagne dans le deuil. Le séisme a touché l’ensemble de la Turquie, mais aussi le cœur géographique du pouvoir d’Erdoğan. Sept des dix provinces sinistrées de Turquie (Adıyaman, Malatya, Kilis, Gaziantep, Kahramanmaraş, Osmaniye, Şanlıurfa) sont gouvernées par des maires du Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdoğan ; Diyarbakır est contrôlée par un administrateur nommé par le gouvernement ; et seulement deux (Adana et Hatay) sont gouvernées par le parti d’opposition.
Le leader du CHP Kemal Kılıçdaroğlu ainsi que les maires d’Istanbul, d’Ankara et d’Izmir, se sont rendus à Hatay, le 7 février, pour prononcer un discours dans une région privée d’électricité. Dans son discours, il a porté de lourdes accusations contre le gouvernement AKP en disant : « Cet effondrement est entièrement le résultat de politiques rentières systématiques. Il n’y a pas de terrain de rencontre ni avec Erdoğan, ni avec le palais, ni avec ces bandes de rentiers. » Meral Akşener, leader du parti Iyi, et Ali Babacan, leader de DEVA, ont montré des réactions similaires en se rendant dans les zones touchées par le séisme. La gravité de la situation va toutefois au-delà de la politique de la campagne électorale.
L’ampleur de la dévastation causée par ce séisme peut-elle être suffisante pour remettre réellement en question le gouvernement AKP ? Il semble qu’à l’avenir, il ne sera probablement plus facile pour les dirigeants turcs d’échapper aux critiques sévères de l’opposition politique du pays et du grand public. Pour l’opposition, le séisme alimente également une lutte politique et sociale. Trois questions importantes que l’opposition abordera peuvent revêtir une importance fonctionnelle à cet égard. La question est de savoir si Erdoğan sera capable d’entreprendre des manœuvres politiques efficaces pour contrer cela.
Premièrement, l’opposition accuse le gouvernement de détourner les taxes imposées après les séisme de 1999 pour préparer le pays à de futures catastrophes. Cependant, comme la divulgation publique des dépenses gouvernementales est censurée depuis 2012, il est presque impossible de déterminer comment ces fonds ont été dépensés. L’opposition pourra-t-elle sensibiliser l’opinion publique en s’attaquant aux taxes obligatoires sur les séismes ?
Deuxièmement, la transparence et la responsabilité sont des principes fondamentaux dans les pays démocratiques. L’opposition demande maintenant au gouvernement AKP, qui se prétend démocratique, dans quelle mesure les unités, les fonctionnaires municipaux et les membres du gouvernement qui ont autorisé la construction doivent être tenus responsables. Cependant, pour cela, l’opposition a besoin d’expliquer au public ce qu’est la démocratie. Ce n’est que dans les démocraties qu’il est possible de poursuivre les entrepreneurs qui ont construit les bâtiments effondrés, les politiciens qui ont autorisé ces projets, les cercles qui utilisent arbitrairement les ressources publiques, d’enquêter sur la corruption et d’inspecter les projets construits sur des lignes de faille. Dans quelle mesure l’opposition réussira-t-elle à susciter cette prise de conscience ?
Par conséquent, il sera déjà difficile pour les personnes directement concernées dans la région de participer aux élections de manière saine. Une incertitude plus importante pourrait façonner le paysage politique de la Turquie dans les prochains jours. Reconnaissant l’importance du traumatisme social que connaît actuellement le pays, le peuple turc doit panser ses blessures et surmonter la polarisation de la société.
Selmin Seda Coskun est chercheur associé à l’Institut Thomas More. Titulaire d’une licence de relations internationales et d’un master en économie internationale, elle est docteur en sciences politiques (Université d’Istanbul, 2019). Auteur de Vekalet Savaşları ve Çözümü Zor Sorunlardaki Yeri [La guerre par procuration dans les conflits internationaux] (Ankara, Nobel Bilimsel Eserler, 2021), elle est chroniqueur international pour le site Dokuz8News. Désormais installée à Paris, elle poursuit des études spécialisées sur la géopolitique du cyberespace à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII) et enseigne les sciences politiques à l’Institut Catholique de Paris. Elle a rejoint l’Institut Thomas More en novembre 2021.
Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur associé à l’Institut Thomas More. Il est titulaire d’une licence d’histoire- géographie, d’une maîtrise de sciences politiques, d’un Master en géographie-géopolitique. Docteur en géopolitique, il est professeur agrégé d’Histoire-Géographie et chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII). Il est l’auteur de Géopolitique de l’Europe (Paris, PUF, 2020) et de Le Monde vu de Moscou. Géopolitique de la Russie et de l’Eurasie postsoviétique (Paris, PUF, 2020). Ses domaines de recherche incluent la « grande Méditerranée » et couvrent avec la Turquie, les enjeux touraniens et les dynamiques géopolitiques en Eurasie.