« À Kilis, ville turque non loin de la frontière syrienne, les réfugiés ont durement vécu le violent tremblement de terre du 6 février. Pour ceux ayant fui la guerre qui ravage la Syrie depuis 2011, ce traumatisme vient s’ajouter à celui né des bombes et de l’exil. » Assiya Hamza rapporte à Istanbul pour France 24 du 12 février.
« J’ai peur… peur de mourir. J’ai du mal à respirer. Il a suffi d’une minute et demie pour détruire notre maison« . Depuis cette funeste nuit du 6 février où la terre a tremblé dans le sud de la Turquie et en Syrie, Ahmed* a perdu le sommeil. Les yeux rougis, il arpente le gymnase de l’université de Kilis transformé en centre d’accueil pour les victimes du séisme.
L’étudiant syrien, installé dans la ville depuis douze ans, tremble comme une feuille. Profondément traumatisé par les secousses, il ne parvient pas à se rasséréner. « Je regarde les murs en permanence, dit-il en regardant autour de lui. On survit ici. On ne veut pas mourir. Mais on est mieux qu’ailleurs ».
Dans le gymnase chauffé, 2 500 personnes sont installées, dont de nombreux enfants. Sur le sol, quelques tapis et des couvertures. Certains dorment, d’autres bavardent assis dans les tribunes ou en contrebas. Nombre d’entre eux sont Syriens. Car Kilis n’est qu’à quelques kilomètres de la frontière avec la Syrie.
Un double traumatisme pour les réfugiés syriens
Depuis 2011, la Turquie a accueilli 3,6 millions de personnes fuyant la guerre en Syrie. Tous ont vécu sous les bombes et les tirs. Encore bien souvent traumatisés, hantés par un sentiment d’insécurité, les deux séismes ont rouvert des plaies mal fermées.
Aladin est en Turquie depuis neuf ans. Employé dans le tourisme à Alanya, il était de passage à Kilis pour effectuer des démarches administratives quand la terre a tremblé. « Je me suis retrouvé bloqué. Je suis venu dormir ici dès les premières heures qui ont suivi le séisme, raconte-t-il, installé dans les gradins. « On est très bien ici. Il fait chaud, nous avons un toit. Nous sommes en sécurité pour le moment. Il y a de la nourriture, tout ce qu’il faut et ils prennent soin de nous ».
Vers 13 h 30, la salle de sport s’anime soudain. Un petit groupe de femmes et d’hommes en chasuble rouge vient d’arriver : l’heure du déjeuner a sonné. Le Croissant rouge turc est là pour la distribution. Des tables sont installées à l’extrémité de la pièce. Deux files se forment rapidement, les femmes et les enfants d’un côté, les hommes de l’autre.
« Depuis trois jours, Médecins sans frontière finance trois repas chauds, précise Anne-Cécile Niard, coordinatrice logistique MSF pour la Syrie. On en sert 6 000 chaque jour et on sait qu’on ne couvre pas tout le monde. Il y a entre 9 000 et 11 000 personnes dehors. Elles ne sont pas forcément dans les abris mis en place par les autorités. Parfois, elles dorment dans leurs voitures, mais viennent quand même chercher un repas chaud. C’est important « .
L’ONG française est là pour évaluer les besoins en Turquie. « Là où il y a des tentes, il n’y a pas toujours suffisamment de couvertures. Les gens ont pris ce qu’ils pouvaient de chez eux mais souvent pas beaucoup. C’est surtout ça qui est demandé par les autorités « , poursuit l’humanitaire.
« Je veux m’adresser au monde entier : il faut apporter de l’aide à la Syrie »
Aladin fouille dans son sac en plastique. Le quinquagénaire au regard pétillant est seul. Sa femme et ses trois enfants sont à Damas. « Ils me manquent tellement. Neuf ans. Pas un jour ou un an. Neuf ans, confie-t-il ému. Je leur parle via Whatsapp quand Internet fonctionne. Là-bas, c’est plus compliqué qu’ici. Je veux m’adresser au monde entier : il faut apporter de l’aide à la Syrie. Ici, c’est facile d’en avoir. Là-bas, c’est impossible. C’est très dur ».
De l’autre côté de la frontière, le chaos. Face au manque cruel de matériel, les recherches ont parfois eu lieu à mains nues, à peine éclairées par des lampes torches. Des centaines de personnes sont restées bloquées des heures sous les décombres sans qu’il soit possible de les secourir, faute de bras. En Syrie, les hôpitaux sont débordés et les gens tentent de survivre dans la rue, sans couverture, ni nourriture, par un froid polaire. Selon un bilan provisoire du gouvernement et des secouristes des zones rebelles, au moins 3 500 personnes sont mortes, dont l’essentiel dans les zones hostiles à Bachar Al-Assad.
Déjà meurtrie par des années de guerre, la population syrienne n’a pour l’instant pas pu bénéficier de toute l’aide dont elle a désespérément besoin. Une situation qui pourrait changer avec les dernières annonces du président syrien. L’aide internationale destinée aux zones rebelles pourra ainsi être acheminée à partir des régions qu’il contrôle. Les voix se sont également multipliées pour demander un « cessez-le-feu immédiat ». Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estime de son côté que 5,3 millions de personnes pourraient se retrouver à la rue.
MSF, déjà opérationnel en Syrie, a commencé à apporter son aide. Du matériel médical a été donné à une trentaine d’hôpitaux et structures de santé à Azaz, Afrin, Marea, Bab El Hawa. Du personnel médical, dont des chirurgiens, ont été dépêchés pour traiter les blessés. Côté logistique, des tentes ont été installées pour gérer l’afflux de blessés et une vingtaine de centres d’accueil ont été ouvert dans, ou autour des camps de la région d’Idlib. Des couvertures, des bâches en plastique, des kits d’installation – c’est-à-dire du matériel d’hygiène et de cuisine – ont été distribués. De quoi parer à l’urgence.
De l’autre côté de la frontière, en Turquie, MSF accompagne également les organismes locaux comme le Croissant bleu international (International Blue Croissant, IBC). « Notre objectif est de venir en aide aux personnes à travers un volet médical en fournissant les soins de santé et tout ce qui est matériel de première nécessité : couvertures, kits d’hygiène, nourriture, explique Hakim Khaldi, chef de mission pour les opérations en Syrie.
Si l’urgence est à la prise en charge des blessés à l’hôpital, MSF évoque l’importance de l’après. « Il va falloir un suivi médical pour soigner leurs blessures quand ils rentreront chez eux, notamment les fractures, détaille-t-il. Il faut mettre en place ce qu’on appelle la continuité des soins, c’est-à-dire le suivi des patients quand ils sont sortis de l’hôpital ».
Ahmed fume cigarette sur cigarette. Le jeune homme rêve d’ailleurs… de Paris. Du pain au chocolat qu’il dégusterait avec un « latte ». Il évoque la série Netflix « Emily in Paris », un large sourire illumine son visage. Brièvement. « Les bombes en Syrie… et maintenant ça. Les anges viennent les chercher… les gens meurent à la pelle, murmure l’étudiant. Mais Ahmed sait qu’il ne peut pas partir. « Comment ? Je n’ai pas d’argent. Nous (les Syriens) n’avons pas le droit de travailler [200 000 permis de travail ont été délivrés par les autorités depuis 2016]. Je ne peux pas laisser ma mère et ma fratrie ici ».
Dans le gymnase, parfois les nerfs lâchent. Trop de douleur. Au traumatisme de la guerre, pour ceux qui ont fui la Syrie, s’ajoute celui des tremblements de terre. « Beaucoup habitent dans des immeubles et ceux qui sont dans les étages n’ont pas du tout envie de rentrer chez eux. Les enfants sont traumatisés, les adultes aussi, souligne Anne-Cécile Niard. Ils ne veulent pas rentrer chez eux la nuit, ils préfèrent dormir dehors « .
Une prise en charge psychologique est aussi une urgence. « La santé mentale est importante. À Nurdagi, Islahiye, dans les hôpitaux et les abris de la ville de Gaziantep, on nous a dit qu’il fallait l’autorisation du responsable santé de la région de Gaziantep », ajoute Hakim Khaldi.
Du temps, beaucoup de temps. C’est ce qu’il faudra pour soigner ces victimes souffrant parfois de syndromes post-traumatiques liés à la guerre et l’exil. « Les autorités turques ne vont pas pouvoir garder ces gens dans les tentes pendant des mois sachant que les immeubles qui sont très fissurés, et donc très dangereux, vont devoir être détruits, estime Anne-Cécile Niard. Ils vont les abattre et les reconstruire. Il va falloir des mois, voire des années. Certains vont quitter la région pour aller rejoindre leur famille ailleurs en Turquie. Pour les autres, je pense que l’État va devoir les mettre dans des hôtels ou l’équivalent sur du long terme. Ça va être très compliqué mais le pays a déjà vécu de gros séismes. Les autorités ont malheureusement l’habitude ».
* Le prénom a été changé
France 24, le 12 février par Assiya Hamza.