« Engagé dans des négociations pour entrer dans l’OTAN, le pays scandinave doit gérer la colère provoquée dans de nombreux pays par l’extrémiste Rasmus Paludan, qui a brûlé un exemplaire du livre religieux musulman devant l’ambassade de Turquie » Anne-Françoise Hivert dans Le Monde du 4 février, 2023.
Pour Stockholm, la priorité est désormais d’éviter à tout prix que la crise provoquée par l’autodafé du Coran devant l’ambassade de Turquie, le 21 janvier, ne dégénère comme celle suscitée par la publication de douze caricatures du prophète Mahomet dans le quotidien danois Jyllands Posten, le 30 septembre 2005. Début 2006, les manifestations dans de nombreux pays musulmans avaient fait une cinquantaine de morts. Plusieurs ambassades et consulats du royaume avaient été incendiés, tandis qu’un boycott était décrété contre les produits danois.
Il avait ensuite fallu des années pour réparer les relations diplomatiques fragilisées avec ces pays, dont la Turquie. En 2009, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait retardé la nomination de l’ex-premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen au poste de secrétaire général de l’OTAN, lui reprochant sa gestion de l’affaire.
Cette fois, la Turquie est directement visée, puisque c’est devant ses ambassades à Stockholm, le 21 janvier, puis à Copenhague, le 27 janvier, que l’extrémiste de droite suédo-danois Rasmus Paludan a brûlé un exemplaire du Coran, promettant de recommencer chaque vendredi jusqu’à ce qu’Ankara accepte l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN.
Même si Rasmus Paludan y a finalement renoncé le 3 février, ses coups d’éclat ont déjà eu des conséquences : ces dernières semaines, des manifestations ont eu lieu en Turquie mais aussi au Pakistan, en Irak ou en Afghanistan, où les manifestants ont brûlé le drapeau suédois. Plusieurs pays ont condamné officiellement l’autodafé du Coran, comme l’Indonésie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, mais aussi des organisations telles que le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Au Caire, le 25 janvier, l’université Al-Azhar a appelé « au boycott des produits suédois et néerlandais ».
Istanbul dénonce « une guerre psychologique »
Car Rasmus Paludan semble avoir suscité des vocations : le 22 janvier, un responsable du mouvement néerlandais islamophobe Pediga a été filmé, près du Parlement, en train de déchirer des pages d’un exemplaire du Coran, avant de les piétiner. A Oslo, l’organisation islamophobe Sian n’a pas eu le droit de brûler ce livre devant l’ambassade de Turquie. Si la police a rappelé que l’autodafé des livres saints était autorisé dans le pays – comme en Suède ou au Danemark –, elle a estimé que « la sécurité ne pouvait être garantie ».
Jeudi 2 février, le ministère des affaires étrangères à Ankara a convoqué les ambassadeurs de neuf pays, dont la France, les Etats-Unis et la Suède, qui ont décidé, ces derniers jours, de fermer temporairement leurs représentations diplomatiques en Turquie, pour des raisons de sécurité. La plupart de ces pays, comme la France, ont également appelé leurs ressortissants à faire preuve de vigilance, en raison d’un risque d’attentat « élevé », notamment à Istanbul. Le ministre turc de l’intérieur, Suleyman Soylu, a dénoncé « une guerre psychologique » menée contre son pays.
A Stockholm, le gouvernement multiplie les efforts pour tenter de déminer la crise. Le 31 janvier, le premier ministre, Ulf Kristersson, s’est entretenu au téléphone avec le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour lui demander de l’aide afin de « faire descendre la température ». Jeudi 3 février, son conseiller à la sécurité ainsi que le négociateur en chef pour l’OTAN se trouvaient à Washington, où ils ont rencontré le conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, Jake Sullivan. Si le rendez-vous était prévu, la crise s’est imposée à l’agenda.
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Au même moment, en Suède, M. Kristersson rencontrait les représentants de plusieurs associations musulmanes. Mais sa position est d’autant plus délicate que son gouvernement forme une coalition avec l’extrême droite, qui n’hésite pas à mettre de l’huile sur le feu. Ainsi, le 28 janvier, Richard Jomshof, président de la commission de la justice au Parlement, a estimé que si l’autodafé du Coran continuait de provoquer des réactions, il fallait « en brûler cent de plus ».
Le Monde du 4 février, 2023 par Anne-Françoise Hivert.