Nora Seni
Peu d’événements ont suscité ces derniers mois autant d’intérêt, de commentaires et de spéculations que le limogeage du chef d’état-major de la marine turque, le contre-amiral Cihat Yagci. L’homme était le représentant du courant nationaliste dur, dit “ulusalci” en turc (pour une analyse politique et sémantique de cette notion voir ICI), version eurasienne. L’homme assurait auprès d’Erdogan et depuis le putch raté de 2016, l’influence et le soutien de ce courant bien implanté au sein de l’armée.
Pour définir le courant eurasien le journaliste turc Yavuz Baydar va encore plus loin sur Ahval, le site d’actualités en ligne dont il est le rédacteur en chef: “Ils sont sortis vainqueurs de la bataille intra-armée qui s’est déroulée lors de la tentative de coup d’État de la mi-juillet 2016. Alors que les militaires pro-américains et pro-OTAN, dont certains étaient des Gülénistes, ont été brutalement nettoyés des rangs supérieurs, les Eurasianistes ont cimenté une alliance avec Erdoğan et ses alliés fidèles, le ministre de la défense (ancien Top General) Hulusi Akar et l’actuel chef d’état-major Yaşar Güler.”(traduit de l’anglais)
Yagci est connu pour avoir été l’architecte de la politique libyenne de la Turquie et du pacte qui trace une nouvelle ligne de démarcation maritime. Le président turc a signé ce pacte avec Faïez Sarraj, le chef du gouvernement libyen reconnu par l’ONU fin novembre 2019. Ce pacte autorise l’accès de la Turquie aux zones maritimes de l’est méditerranéen riches en gisements de gaz naturel et revendiquées par Chypre et la Grèce
L’homme est défini dansle Monde par Marie Jégocomme “farouchement anti-occidental, favorable au rapprochent avec la Russie. Il est l’auteur d’un livre intitulé Les Exigences de la Grèce : questions et réponses aux problèmes de la mer Egée. Il y valorise l’esprit conquérant de l’époque ottomane, insistant sur la nécessité de revendiquer la souveraineté turque sur certaines îles et îlots de la mer Egée. Sa théorie, appelée « La Patrie bleue », rappelle que la Turquie doit défendre avec véhémence ses frontières maritimes en mer Noire, en mer Egée et en Méditerranée orientale.”
Baydar attire l’attention sur le fait que le terme la Patrie Bleue avait été adopté par un militaire haut gradé, poursuivi pour ses liens avec le réseau clandestin Ergenekon, supposé comploter pour renverser le gouvernement de l’AKP, parti au pouvoir fondé par Erdogan. Le procès Ergenekon avait eu lieu en 2007 avec l’arrestation de nombreux militaires haut-gradés.
Ainsi, Yagci représentait la nouvelle alliance post 2016 entre l’armée -du moins une de ses franges- et la coalition des forces à la tête de l’Etat turc.
La question qui se pose aujourd’hui aux observateurs est de savoir si le limogeage de Yagci signifie la fin de cette alliance qui pouvait paraître improbable parce qu’elle semblait en rupture avec la tradition de l’armée turque d’être rétive au pouvoir politique musulman. Et si rupture il y a pourquoi maintenant ? Avec quelles implications?
La crise économique aggravée par la pandémie du Covid 19 a contracté la croissance de 5% et fait grimper le chômage à 17%. Cela apporte sans doute une réponse, quoique partielle, à la question du “pourquoi maintenant?”. Erdogan sait qu’il ne peut compter sur l’aide économique de la Russie à laquelle il s’oppose sur la question libyenne. Il tente ainsi de “recoller les morceaux de ses relations avec ses alliés traditionnels. Dans une lettre adressée récemment au président américain, Donald Trump, M. Erdogan évoque « l’importance de préserver avec force la coopération turco-américaine ».« Nous sommes tous dans le même bateau », a-t-il rappelé dans une autre missive, envoyée à l’Union européenne le 9 mai » lemonde.fr
Il était sans doute difficile pour la Turquie de tenter de se rapprocher de ses alliés occidentaux de concert avec le courant eurasien que représente le contre-amiral Cihat Yagci. Erdogan abandonnera-t-il pour autant sa politique libyenne alors que les forces turques enregistrent des avancées dans les combats qui les opposent aux forces du général Haftar, et que des explorations gazières sont prévues en juillet dans l’est méditerranéen ? Cela semble peu probable pour Baydar qui prédit que les forages au large des côtes chypriotes et l’escalade verbale concernant les îles de la mer Égée se poursuivront.
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Peu d’événements ont suscité ces derniers mois autant d’intérêt, de commentaires et de spéculations que le limogeage du chef d’état-major de la marine turque, le contre-amiral Cihat Yagci. L’homme était le représentant du courant nationaliste dur, dit “ulusalci” en turc (pour une analyse politique et sémantique de cette notion voir ICI), version eurasienne. L’homme assurait auprès d’Erdogan et depuis le putch raté de 2016, l’influence et le soutien de ce courant bien implanté au sein de l’armée.
Pour définir le courant eurasien le journaliste turc Yavuz Baydar va encore plus loin sur Ahval, le site d’actualités en ligne dont il est le rédacteur en chef: “Ils sont sortis vainqueurs de la bataille intra-armée qui s’est déroulée lors de la tentative de coup d’État de la mi-juillet 2016. Alors que les militaires pro-américains et pro-OTAN, dont certains étaient des Gülénistes, ont été brutalement nettoyés des rangs supérieurs, les Eurasianistes ont cimenté une alliance avec Erdoğan et ses alliés fidèles, le ministre de la défense (ancien Top General) Hulusi Akar et l’actuel chef d’état-major Yaşar Güler.”(traduit de l’anglais)
Yagci est connu pour avoir été l’architecte de la politique libyenne de la Turquie et du pacte qui trace une nouvelle ligne de démarcation maritime. Le président turc a signé ce pacte avec Faïez Sarraj, le chef du gouvernement libyen reconnu par l’ONU fin novembre 2019. Ce pacte autorise l’accès de la Turquie aux zones maritimes de l’est méditerranéen riches en gisements de gaz naturel et revendiquées par Chypre et la Grèce
L’homme est défini dansle Monde par Marie Jégocomme “farouchement anti-occidental, favorable au rapprochent avec la Russie. Il est l’auteur d’un livre intitulé Les Exigences de la Grèce : questions et réponses aux problèmes de la mer Egée. Il y valorise l’esprit conquérant de l’époque ottomane, insistant sur la nécessité de revendiquer la souveraineté turque sur certaines îles et îlots de la mer Egée. Sa théorie, appelée « La Patrie bleue », rappelle que la Turquie doit défendre avec véhémence ses frontières maritimes en mer Noire, en mer Egée et en Méditerranée orientale.”
Baydar attire l’attention sur le fait que le terme la Patrie Bleue avait été adopté par un militaire haut gradé, poursuivi pour ses liens avec le réseau clandestin Ergenekon, supposé comploter pour renverser le gouvernement de l’AKP, parti au pouvoir fondé par Erdogan. Le procès Ergenekon avait eu lieu en 2007 avec l’arrestation de nombreux militaires haut-gradés.
Ainsi, Yagci représentait la nouvelle alliance post 2016 entre l’armée -du moins une de ses franges- et la coalition des forces à la tête de l’Etat turc.
La question qui se pose aujourd’hui aux observateurs est de savoir si le limogeage de Yagci signifie la fin de cette alliance qui pouvait paraître improbable parce qu’elle semblait en rupture avec la tradition de l’armée turque d’être rétive au pouvoir politique musulman. Et si rupture il y a pourquoi maintenant ? Avec quelles implications?
La crise économique aggravée par la pandémie du Covid 19 a contracté la croissance de 5% et fait grimper le chômage à 17%. Cela apporte sans doute une réponse, quoique partielle, à la question du “pourquoi maintenant?”. Erdogan sait qu’il ne peut compter sur l’aide économique de la Russie à laquelle il s’oppose sur la question libyenne. Il tente ainsi de “recoller les morceaux de ses relations avec ses alliés traditionnels. Dans une lettre adressée récemment au président américain, Donald Trump, M. Erdogan évoque « l’importance de préserver avec force la coopération turco-américaine ».« Nous sommes tous dans le même bateau », a-t-il rappelé dans une autre missive, envoyée à l’Union européenne le 9 mai » lemonde.fr
Il était sans doute difficile pour la Turquie de tenter de se rapprocher de ses alliés occidentaux de concert avec le courant eurasien que représente le contre-amiral Cihat Yagci. Erdogan abandonnera-t-il pour autant sa politique libyenne alors que les forces turques enregistrent des avancées dans les combats qui les opposent aux forces du général Haftar, et que des explorations gazières sont prévues en juillet dans l’est méditerranéen ? Cela semble peu probable pour Baydar qui prédit que les forages au large des côtes chypriotes et l’escalade verbale concernant les îles de la mer Égée se poursuivront.
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