« La Turquie n’arrive pas à contrôler la hausse des prix, au plus haut depuis 25 ans. L’inflation poursuit son envol pour le 17e mois consécutif, avec une augmentation mensuelle de 85,5 % en rythme annuel en octobre selon les chiffres officiels, mais de plus de 100 % selon des sources indépendantes » rapporte Timour Ozturk dans Les Echos du 3 novembre 2022.
Les Turcs ne cessent de voir leur pouvoir d’achat s’effondrer. Rien ne semble devoir stopper la violente crise inflationniste qui secoue la Turquie depuis près d’un an et demi. Selon les chiffres officiels de l’Institut statistique de Turquie (Tüik) publiés ce jeudi, l’inflation atteint 85,5 % sur un an glissant au mois d’octobre.
Une telle hausse des prix n’avait plus été constatée depuis 1997 dans le pays. Les prix ont augmenté de 3,5 % sur le seul mois d’octobre par rapport à septembre.
Flambée de l’énergie et la chute de la devise
Des estimations cohérentes avec les données de la Chambre de commerce d’Istanbul qui calcule une inflation annuelle de 108,7 % et une hausse des prix en octobre de 3,9 % dans la métropole du Bosphore. Toutefois, d’après les économistes indépendants du Groupe de recherche sur l’inflation (Enag), la hausse annuelle de l’indice des prix à la consommation serait bien plus forte, de l’ordre de 185,5 % sur un an et de 7 % en octobre.
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Selon l’Institut statistique de Turquie, les consommateurs turcs sont particulièrement touchés par l’augmentation du prix des transports (en hausse de 117 % sur un an), de l’alimentation (qui a pris 99 % sur douze mois) et des logements (une augmentation annuelle de 85 %). Des dépenses contraintes, en partie impactées par la flambée mondiale des prix de l’énergie.
Très dépendante de l’importation d’énergie, de produits agricoles et de pièces pour son industrie, la Turquie est frappée par la dépréciation de sa monnaie nationale. La livre turque a perdu 28 % de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année et s’était déjà écroulée de 44 % face au billet vert en 2021.
La banque centrale continue de baisser ses taux directeurs
Pourtant, à rebours de la tendance mondiale, la Banque centrale de la République de Turquie (BCRT) poursuit une baisse de ses taux directeurs, conformément aux conceptions peu orthodoxes du président turc Recep Tayyip Erdogan, selon lequel, à rebours de la quasi-totalité des économistes, des taux d’intérêt bas luttent contre l’inflation.
En octobre, la Banque centrale a ainsi abaissé, pour le troisième mois consécutif, son principal taux directeur de 12 % à 10,5 % et a déjà annoncé publiquement son intention de passer à un taux à un chiffre d’ici la fin de l’année.
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« La BCRT a réduit les taux d’intérêt de 350 points de base lors de ses trois dernières réunions. De même, elle annonce une nouvelle baisse de 150 points de base pour novembre. Nous pensons que le cycle actuel de réduction des taux pourrait continuer à affaiblir la livre turque et à alimenter l’inflation », estime Enver Erkan, économiste en chef de la société stambouliote Tera Investment.
Rendez-vous « après le nouvel An »
Le gouverneur de la BCRT, Sahap Kavcıoglu, assume cette politique. Mercredi 2 novembre, devant l’Askon, un syndicat patronal proche du pouvoir, il a affirmé que la baisse des taux directeurs finirait par « venir à bout de l’inflation de manière durable ».
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Un discours au diapason de celui du président Erdogan, mercredi soir, qui donnait rendez-vous « après le nouvel An » à ceux qui le critiquent sur le sujet. Une référence à une promesse faite en septembre par le chef de l’Etat : « Je pense que l’inflation va baisser avec des taux d’intérêt bas après le nouvel An et je plaide en ce sens. »
Un avis qui n’est pas partagé par de nombreux analystes. Dans un éditorial, le quotidien économique turc de référence « Dünya » rappelle que les choix de la Banque centrale se répercutent durement dans l’économie réelle et appelle l’institution à revenir sur sa décision.
Les Echos, 3 novembre 2022, Timour Ozturk, Photo/Chris McGrath/Getty Images