Kemal Kilicdaroglu, 74 ans, ancien dirigeant de la Sécurité social turque, affrontera Recep Tayyip Erdogan dans les urnes le 14 mai prochain. Longtemps considéré comme une faible menace, il pourrait renverser l’homme fort de la Turquie, au pouvoir depuis vingt ans. Par Tifenn Clinkemaillé, dans Les Echos du 13 mai 2023..
La fin d’un règne ? Pour la première fois en vingt ans, Recep Tayyip Erdogan est menacé. Le président turc, candidat à un troisième mandat, affrontera le 14 mai une opposition unie derrière un seul candidat.
A 74 ans, Kemal Kilicdaroglu, ancien dirigeant de la Sécurité sociale turque pourrait changer la face de la Turquie. Portrait.
1. Le candidat de l’opposition
Des tractations tendues, mais nécessaires. Début mars, les principaux partis d’oppositions turcs, sont tombés d’accord pour s’unir derrière un candidat commun. La tâche, ardue, revient à Kemal Kilicdaroglu , 74 ans, leader du principal parti de cette coalition, le CHP.
Longtemps considéré par ses adversaires comme une faible menace, celui qui est parfois décrit comme « l’anti Erdogan » arrive aujourd’hui en tête des sondages. En plus de bénéficier du soutien d’une large coalition, le candidat a su s’attirer les faveurs du parti kurde. Le 22 mars, le HDP (Parti démocratique des peuples), troisième parti de Turquie, a annoncé qu’il ne présenterait pas de candidat à l’élection présidentielle et soutiendrait sa candidature.
2. Un dépositaire de la tradition laïque
Kemal Kilicdaroglu, 74 ans, est surtout dépositaire de la tradition laïque de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République, il y a cent ans. L’économiste de formation est, depuis 2010, à la tête depuis du parti fondé par « le Père des Turcs », le Parti républicain du peuple (CHP).
Il est, à ce titre, l’architecte de la reconquête d’Istanbul et d’Ankara. Le parti, sous sa direction, est parvenu à reprendre les deux villes, acquises à l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan. Cette réussite lui vaut le soutien des deux maires, Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas, deux figures très populaires du CHP.
S’il est élu président, Kemal Kilicdaroglu promet un retour de la démocratie dans le pays, dirigé depuis 2003 par Erdogan dont l’autoritarisme s’est durci au fil des années. « Nous établirons tous ensemble le pouvoir de la morale et la justice », a-t-il assuré après avoir été désigné par la coalition des partis d’opposition.
3. Un discours rassembleur
S’il défend la laïcité, Kemal Kilicdaroglu s’est aussi ouvert aux groupes autrefois mis à l’écart, à l’instar des Kurdes, ou des milieux conservateurs. Au risque d’en froisser certains dans ses propres rangs.
L’année dernière, il s’est ainsi prononcé en faveur du droit des femmes à porter le foulard musulman dans les institutions de l’Etat. Jusqu’ici ce discours était exploité par l’AKP, le parti d’Erdogan, soucieux de convaincre les électeurs conservateurs.
4. Vingt ans de politique
Rien ne prédestinait Kemal Kilicdaroglu à affronter Recep Tayyip Erdogan dans une bataille pour la présidence. Plus jeune, il rêvait de devenir enseignant. Il deviendra finalement inspecteur des impôts et gravira les échelons jusqu’au poste de directeur de la Sécurité sociale Turque.
C’est pour s’occuper pendant sa retraite que Kemal Kilicdaroglu se lance en politique. Il est élu député, en 2002, à l’âge de 53 ans, sur la liste du CHP. Si son expérience est certaine, c’est aussi son caractère, qui leur permet d’apparaître en leader ne redoutant pas la confrontation.
5. Le « Ghandi turc »
Visage souriant, discours apaisé. Bien loin des apparitions survoltées du président Erdogan, Kemal Kilicdaroglu revendique un style très calme. Cette attitude, et sa longue silhouette fine, lui valent le surnom « Ghandi turc » ou de « Force tranquille ». « Je suis une personne calme. Je garde mon sang-froid face aux critiques très sévères, puis je réponds plus tard », revendique-t-il.
L’ancien fonctionnaire revendique en outre un attrait modéré pour le pouvoir. Après avoir réduit ses propres pouvoirs en tant que président, et restauré ceux du Parlement, il assure qu’il quittera ses fonctions pour « s’asseoir dans un coin » et jouer avec ses petits-enfants, promet-il. « Je ne suis pas quelqu’un qui a de l’ambition », indique-t-il.
Cette force tranquille pourrait aussi être sa faiblesse. Longtemps, son image d’intellectuel réservé l’a desservi face au chef de l’Etat actuel. Il est, par ailleurs, régulièrement jugé trop apathique.
6. Une appartenance à la minorité religieuse des alévis
Les rumeurs allaient bon train. Elles ont finalement été confirmées, le 19 avril, par le principal intéressé. Dans une vidéo publiée sur Twitter, qui a rapidement cumulé des millions de vues, Kemal Kilicdaroglu révèle appartenir à la minorité religieuse des alévis.
« Je pense qu’il est temps d’évoquer avec vous un sujet très particulier, très sensible », explique-t-il. « Je suis Alévi, je suis un musulman sincère », poursuit le candidat à la présidentielle dans la vidéo.
Si les Alévis constituent la plus grande minorité religieuse du pays, avec environ 10 à 15 % de la population, avec cette déclaration, Kemal Kilicdaroglu brise un véritable tabou en Turquie. Ne respectant pas certaines règles et rites de l’islam sunnite, les Alévis sont encore considérés comme des hérétiques par des sunnites rigoristes. Ils ont, par le passé, été victimes de discriminations et de massacres en Turquie.
S’il est élu, Kemal Kilicdaroglu deviendrait le premier Alévi à occuper la fonction présidentielle. Il promet par ailleurs de mettre fin « aux disputes confessionnelles qui ont fait souffrir la Turquie ».